« The Last Hillbilly », de Diane Sara Bouzgarrou : Plouc Pride

Dans The Last Hillbilly, Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe filment un homme de caractère dans son Kentucky déshérité.

Christophe Kantcheff  • 9 juin 2021 abonné·es
« The Last Hillbilly », de Diane Sara Bouzgarrou : Plouc Pride
© New Story Distribution

Hillbillies » ou, littéralement, « ploucs des collines ». C’est ainsi que sont surnommés, par les autres États-Uniens, les habitants de l’est du Kentucky, région profondément rurale, reculée, repliée sur elle-même. Les cinéastes Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe ont pourtant choisi cette expression pour titre de leur documentaire, car celui que « The Last Hillbilly » désigne, à savoir Brian Ritchie, retourne le stigmate pour en faire une identité revendiquée.

Brian Ritchie, divorcé, trois enfants, un gaillard dont l’entreprise agricole ne tourne pas fort, n’est pas du genre à se complaire dans une attitude victimaire ni à entraîner le film dont il est le personnage central – et quel personnage ! – vers le misérabilisme. S’il fait lucidement le constat de l’état de sa terre natale, il transforme son témoignage en une forme de chant parlé incisif et percutant.

Brian Ritchie tient à transmettre à ses enfants l’histoire du lieu, la raison pour laquelle les collines alentour sont toutes écrêtées. Leur aspect est le résultat de l’extraction massive et cupide du charbon qu’elles recelaient. Aujourd’hui, il n’en reste quasiment plus. Les anciens de la famille étaient employés par les grandes firmes minières. Comme Brian Ritchie le raconte, en trois générations, les habitants sont passés de pionniers indépendants (qui ont pris la place, en les massacrant, des populations initialement présentes) à mineurs, puis à chômeurs hébétés. Détenteur et ultime (?) conteur de cette histoire, il est comme le dernier des Mohicans – ou le dernier des Hillbillies.

En même temps, lui qui a également perdu, des années auparavant, un jeune frère puise dans cette désolation une capacité d’analyse ironique et développe des visions singulières. Comme cette fable sombre qui ouvre le film, où des cerfs fiévreux viennent mourir dans des plans d’eau.

Les cinéastes ont choisi de filmer Brian Ritchie et sa famille en les montrant dans la plus grande banalité de leur quotidien. Mais en ne cédant rien sur la qualité de leurs plans, de leurs cadrages : ce qui participe à leur conférer cette tenue, cette dignité. Ils se sont aussi laissé guider par l’esprit fertile et surprenant de Brian Ritchie, dont la voix résonne tout au long du film.

« Très tôt, nous lui avons confié un enregistreur numérique afin qu’il puisse s’enregistrer à n’importe quel moment, expliquent les réalisateurs_. Les enregistrements de la voix off n’ont donc pas été encadrés par le processus de fabrication du film. Ce sont des traces très spontanées de sa vie intérieure._ […] Nous voulions proposer au spectateur une sorte de “flux de conscience”, fait de moments d’observation directe du réel et de décrochages, au détour d’images et de sons qui semblent détachés du réel, comme des échos de pensées, d’émotions, de souvenirs qui traversent Brian. »

Enfin, Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe ont aussi porté leur attention sur les enfants. Ce sont eux qui devront prendre la suite du « dernier Hillbilly ». Pour l’instant, ils expriment surtout leur ennui. Le dernier mot sort de la bouche de l’un d’eux. Il est éloquent : « Help ! »

The Last Hillbilly, Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe, 1 h 20. Film de la programmation Acid Cannes 2020.

Cinéma
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