Benedetta, de Paul Verhoeven (Cannes, Compétition)

Avec Benedetta, présenté en compétition à Cannes, Paul Verhoeven dresse le portrait enthousiasmant d’une nonne affabulatrice, lesbienne et volontaire.

Christophe Kantcheff  • 9 juillet 2021
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Benedetta, de Paul Verhoeven (Cannes, Compétition)
© Guy Ferrandis

La peste sévit dans l’Italie du XVIIe siècle où vit sœur Benedetta (Virginie Effira) dans le couvent de Pescia, en Toscane. L’épidémie n’est pas au premier plan du nouveau film de Paul Verhoeven, présenté en compétition, mais joue un rôle non négligeable. Le tournage ayant eu lieu avant le surgissement du covid-19, cette coïncidence rappelle une fois de plus combien le cinéma, par ses intuitions, peut parler de ce qui va nous advenir.

Au cœur de Benedetta : la question du pouvoir. Le pouvoir de faire croire, d’abord. Benedetta est en prise directe – du moins le prétend-elle – avec Jésus, qui lui dit ce qu’elle doit faire, c’est-à-dire ce qu’elle désire. Ces apparitions sont contestées, notamment par Felicita, l’abbesse (Charlotte Rampling). Mais, pour la gloire du couvent, les instances religieuses locales sont favorables à ce que ces miracles soient réels. Benedetta est ainsi promue mère supérieure à la place de Felicita.

Le film ne tranche pas totalement sur les affabulations ou non de Benedetta. Là n’est pas l’important. Si le pouvoir apostolique finit par intervenir en la personne d’un nonce (Lambert Wilson), le motif en est tout autre. Non seulement Benedetta entretient des relations interdites, mais celles-ci sont lesbiennes. Avec la jeune Bartolomea (Daphné Patakia), la nonne a découvert les plaisirs de la chair. La coexistence de l’esprit (saint) et de l’exaltation du corps des femmes est le deuxième axe du film.

L’auteur d’Elle (en compétition à Cannes en 2016) et de Basic Instinct (1992) n’a pas choisi par hasard cette histoire – basée sur des faits réels, sœur Benedetta Carlini ayant réellement existé. Elle permet à Paul Verhoeven d’y déployer son ironie incisive et son goût à filmer des femmes émancipées.

Exemple : Benedetta et Bartolomea utilisent un sex-toy taillé dans le bois d’une statuette représentant la Vierge Marie. Soyons sûrs que les amis de Christine Boutin vont jouir de ce spectacle ! Autre ligne d’humour corrosif : l’hypocrisie dont font preuve les dignitaires religieux – des hommes bien sûr – qui semblent s’autoriser toutes les licences mais condamnent à la question et au bûcher les impies. Le nonce fait figure de tête de Turc ici (interprété par un Lambert Wilson en grande forme, qu’on retrouve au générique avec Olivier Rabourdin, comme au bon vieux temps de Des hommes et des dieux, le film de Xavier Beauvois). Mais Verhoeven aime surtout les personnages qui ne sont pas faits d’une même eau. Benedetta, loin d’être une héroïne sympathique, est double ou triple : tendre, autoritaire, opportuniste, courageuse… Le rôle permet à Virginie Effira de montrer toute la palette de son talent – c’est heureux, car ce n’est pas toujours le cas. À Bartolomea, d’extraction sociale plus simple, le cinéaste offre la possibilité d’atteindre un plaisir sensuel alors qu’elle fut battue et abusée par son père – comme une forme de revanche positive. Benedetta – qui en sera surpris de la part de Paul Verhoeven ? – est un film hérétique. Il nous met dans la joie et l’allégresse…

Benedetta, Paul Verhoeven, 2h06. En salle.

Musique
Temps de lecture : 3 minutes
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