La fracture au bout du pass

La « fracture vaccinale » partage la France en deux tiers, un tiers. Ce dernier tiers recouvrant des opinions bien différentes, entre « antivax » irascibles – une faible minorité – et pro-vaccins inquiets des limitations des libertés individuelles. Ceux-là n’aiment pas le voleur, mais ils aiment encore moins le gendarme.

Nadia Sweeny  • 21 juillet 2021
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La fracture au bout du pass
© Jacopo Landi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Dans la précipitation et l’urgence, Emmanuel Macron a de nouveau décidé seul de règles qui vont durablement impacter notre été. L’obligation vaccinale pour certains et l’extension du pass sanitaire ne sont pas des mesures anodines. Les conséquences, tant sur la vie quotidienne que sur notre contrat social, s’agissant de dispositions privatives de liberté, auraient mérité un vrai débat au lieu d’un projet de loi présenté le 19 juillet et transmis dans la foulée au Parlement pour une adoption dans les cinq jours après un aller-retour entre l’Assemblée et le Sénat. Au lieu de cela, nous avons assisté à des contradictions en cascades et quelques revirements spectaculaires, tandis que les incompréhensions et difficultés juridiques s’accumulent autour de ces deux grandes mesures sanitaires. Chacun est néanmoins prié de s’y conformer au pas de course : c’est cela ou le reconfinement massif, nous menace-t-on. Mais ce qui est censé participer à préserver nos libertés est en train de tous nous en enlever, tout en criant haro sur les non-vaccinés.

C’est le cas de la vaccination contre le covid-19 rendue obligatoire pour le personnel de santé à partir du 15 septembre sous peine de mise en congé sans solde. Puis de licenciement au bout d’un mois sans démarche du salarié. Une extrême dureté vis-à-vis de ceux qu’on applaudissait il y a encore quelques mois, alors même que le vaccin imposé est toujours en phase probatoire et ne bénéficie que d’une autorisation conditionnelle de mise sur le marché. Son autorisation définitive ne devrait être effective qu’en 2023. Déjà les juristes pointent l’article L1122-1-1 du code de santé publique, qui stipule qu’aucune recherche impliquant la personne humaine « ne peut être pratiquée sur une personne sans son consentement libre et éclairé »

La fermeté du gouvernement s’impose aussi à toutes les personnes salariées ou employeurs d’« activités de loisirs, de restauration ou de débit de boissons, les foires ou salons professionnels, les services et établissements accueillant des personnes vulnérables, sauf en cas d’urgence, et les grands établissements et centres commerciaux, aux professionnels des sociétés de transport, exploitants et organisateurs ». Tousdevront présenter un pass sanitaire : soit un justificatif de vaccination, un certificat de contamination ou bien un test PCR négatif – qui deviendra payant dès la rentrée. Le tout sous forme de QR code vérifié via une application – Tous AntiCovid Verif – téléchargeable et utilisable par tout un chacun. C’est le contrôle de tous par tous. Air France a même déjà proposé d’inclure ces données sanitaires dans ses billets d’avion…

Des garanties réclamées par la Cnil ont, depuis, volé en éclats.

Ce projet de loi va bien plus loin que la loi du 31 mai 2021, qui créait le pass sanitaire et l’imposait aux seules structures et événements accueillant plus de mille personnes. Un simple décret aura suffi pour l’étendre aux « activités culturelles, sportives, ludiques ou festives » impliquant au moins cinquante personnes. Le Conseil d’État l’avait alors validé à la condition que ce dispositif ne soit « pas requis pour les activités du quotidien ». Quelques semaines plus tard, pressée par le gouvernement, la haute juridiction administrative se dédit et valide désormais l’extension du pass à ces domaines. Certes, il émet quelques timides réserves sur le montant de l’amende imposée aux réfractaires, jugée trop sévère, et sur le manque d’encadrement des modalités de licenciement prévues.

Car les conséquences sont immenses : le salarié des structures visées qui refuse de se plier aux injonctions sanitaires sera mis à pied pendant deux mois, puis licencié. Déjà, les groupes comme Burger King menacent leurs employés s’ils ne sont pas vaccinés au 31 août. Les employeurs seront en effet chargés de vérifier la situation sanitaire de leurs clients mais aussi de leurs employés. Et les sanctions initialement proposées par le gouvernement pour les réfractaires se montaient à six mois de prison et 10 000 euros d’amende pour les usagers surpris sans pass sanitaire et un an de prison et 45 000 euros pour les exploitants qui n’auraient pas contrôlé leurs clients. Tous seront en revanche contrôlés par des policiers à qui aucune obligation vaccinale professionnelle ne s’impose : absurdité du procédé et dangerosité de la différenciation.

Juridiquement, pourtant, un tel motif de licenciement paraît difficilement recevable : le secret médical prévaut – d’autant plus vis-à-vis de l’employeur – et en outre ce motif de licenciement n’existe pas dans la loi. Le créer le rendrait donc définitif.

Mercredi 21 juillet, les sénateurs avaient prévu d’auditionner la présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis, en urgence, puisque faute de temps pour un avis écrit ils souhaitaient au moins un avis oral sur la question de la gestion des données personnelles au cœur du projet de pass sanitaire. La Cnil s’était déjà prononcée sur le projet qui devait aboutir à la loi du 31 mai. Elle regrettait déjà la précipitation du gouvernement et rappelait que ce dispositif « porte atteinte non seulement au droit à la vie privée des personnes concernées, mais également à d’autres droits et libertés fondamentaux, tels que la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre ou encore la liberté de consentir à un traitement médical ou à subir un acte médical ». L’instance insistait sur l’évaluation d’une proportionnalité de la réponse, soulignant « que le fait de limiter l’usage du pass sanitaire aux seuls événements les plus à risques de diffusion épidémique en raison du grand nombre de personnes présentes, d’exclure les lieux qui ont trait aux activités quotidiennes (restaurants, lieux de travail, commerces, etc.) où il est difficile de ne pas se rendre, […] sont des garanties de nature à minimiser l’impact du dispositif sur les droits et libertés des personnes ».Des garanties qui ont, depuis, volé en éclats. Pour « faire porter les restrictions sur les non vaccinés plutôt que sur tous », a justifié le Président. Une forme de mise au ban des citoyens non ou insuffisamment vaccinés qui pourrait bien fracturer un peu plus la société française.

Les députés de La France insoumise tentent de rassembler suffisamment de parlementaires pour déposer un recours au Conseil constitutionnel contre ces mesures qui entament durement les libertés fondamentales et le principe d’égalité, sous couvert d’une nécessaire réaction contre l’arrivée du variant delta – beaucoup plus contagieux – sur notre territoire.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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