Le poison Philip et le remède Morris

Le premier cigarettier mondial s’engage… dans la lutte contre le cancer.

Erwan Manac'h  • 14 juillet 2021
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Le poison Philip et le remède Morris
© LEX VAN LIESHOUT / ANP / ANP via AFP

Le premier cigarettier mondial, débiteur des marques Marlboro, Chesterfield et Philip Morris vient d’annoncer le rachat du groupe pharmaceutique Vectura spécialisé, entre autres, dans la lutte contre le cancer. Il est vrai que les vendeurs de mort commencent à faire grise mine devant la multiplication des lois antitabac dans le monde et cherchent depuis des années l’« évolution naturelle » qui leur offrira un avenir radieux. S’inspirant du grec pharmakon, qui désigne à la fois le remède et le poison, Philip Morris choisit donc la blouse du pharmacien pour parfaire son attirail de criminel appliqué et résolu. Et pour que la « chaîne de valeur », comme disent les économistes, soit complètement entre ses mains, il vient aussi d’acheter un laboratoire spécialisé dans la vente de patchs et chewing-gums à la nicotine, pour le sevrage du tabagisme.

Il ose tout, Philip Morris, c’est même à ça qu’on le reconnaît depuis quelques années. Il a par exemple inscrit dans ses statuts la mission d’« innover pour permettre aux fumeurs adultes d’arrêter la cigarette » ; lancé une fondation « pour un monde sans fumée », qui sert surtout à orchestrer son lobbying sur le marché prometteur de l’inhalation ; inondé la journée sans tabac de publicités pour « désenfumer le monde » et lancé son propre comparateur pour juger des efforts des industriels du tabac en matière de lutte contre le tabagisme. Grâce à ses innovations dans la cigarette électronique et avec le tabac chauffé (et non brûlé), qui lui assurent déjà un quart de son chiffre d’affaires, le cigarettier tente d’apparaître comme un artisan de la lutte contre les méfaits du tabagisme. Sauf qu’il est incapable de démontrer que sa trouvaille est moins toxique et n’a pas réussi à obtenir mieux des autorités américaines que l’autorisation de la qualifier « tabac à risque modifié ». Le groupe n’a surtout pas diminué volontairement la vente de cigarettes, première cause de mortalité évitable au monde. Il est même accusé d’organiser lui-même la contrebande (ce qu’il dément).

L’ironie est là pour souligner l’extraordinaire capacité d’adaptation du capitalisme. Comme lorsqu’en 2018 un géant de la chimie, Bayer, qui développe des traitements contre le cancer, rachète le spécialiste des pesticides cancérigènes, Monsanto. Ou quand BNP Paribas finance une licence universitaire « monde durable », tout en restant la première des banques françaises à financer les énergies fossiles (12,8 milliards d’euros en 2016 et 2017). La « résilience des entreprises » face aux crises, « porteuses d’opportunités », sont les mantras des cercles patronaux depuis quinze mois, comme à chaque fois que tout s’effondre sous le poids de leur court-termisme.

Pendant ce temps-là, le tabac tue 7 millions de personnes par an selon l’OMS.

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Parti pris

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