Le prix du logement, une urgence sociale

Trouver un toit est de plus en plus difficile pour tous les Français, et pourtant ce sujet reste politiquement secondaire. Alors les citoyens s’en emparent et proposent des pistes.

Erwan Manac'h  • 14 juillet 2021 abonné·es
Le prix du logement, une urgence sociale
© Gilles Targat/Photo12/AFP

Marion*, 32 ans, un enfant Notre appartement à Anglet, sur la côte basque, avait pris un tiers de sa valeur en quatre ans et nous l’avons mis en vente à un prix que je trouvais déjà élevé. Pour se loger dans le coin, on est obligé de suivre les prix du marché. En quelques heures, nous avons eu plus d’une vingtaine d’offres, de gens qui venaient de loin et achetaient ça comme ils auraient acheté une baguette de pain. Certains renchérissaient jusqu’à 50 000 euros. Nous avons choisi le seul couple qui comptait y vivre à l’année, pour préserver le peu de vie qu’il reste dans ce quartier. Et nous avons dû à notre tour faire une dizaine d’offres avant de pouvoir acheter, dans l’intérieur des terres, une vieille maison à retaper. À chaque fois, des couples nous devançaient parce qu’ils pouvaient payer cash. J’aimerais que les proprios donnent priorité aux gens qui veulent faire vivre le coin. Il faut qu’ils comprennent que leur choix compte. Christelle*, 40 ans, un enfant Je vis dans un appartement que je paye trop cher et dans lequel je n’ai pas ma propre chambre. Mais, étant saisonnière, je ne peux pas déménager parce que mon dossier ne serait accepté nulle part. Cela fait trois ans et demi que je demande un logement social. Je suis passée au moins quatre fois en commission d’attribution et j’ai été plusieurs fois sur liste d’attente. Le bailleur a fini par me signifier un refus, au motif que je ne gagnais pas trois fois le montant du loyer. Ça veut dire que je ne suis pas assez riche pour vivre dans un logement social, un comble ! Si les bailleurs sociaux se mettent à réclamer les mêmes conditions que dans le privé, comment fait-on pour s’en sortir ? Tout ça me donne envie d’abandonner mes demandes de logement social. Les gens comme moi n’ont pas d’autre choix que de s’endetter pour continuer à payer leur loyer.
  • Les prénoms ont été modifiés.
Cela faisait plusieurs années que le remuant réseau militant basque voulait se rapprocher des quartiers populaires et de celles et ceux qui « n’ont plus personne pour s’occuper de leurs problèmes », résume Txetx Etcheverry, syndicaliste et militant écologiste (1). En octobre 2020, une poignée de militants se lancent donc dans une vaste consultation, dans la rue ou auprès de personnalités locales, pour recenser les motifs de mécontentement. Le constat est implacable : « Dans trois quarts des cas, c’est l’accès au logement qui revenait comme la première préoccupation des habitants, assure Peio, militant installé dans le petit local de l’association Alda, au cœur du quartier dit de la “petite ZUP”, sur les hauteurs de Bayonne. Il faut dire que depuis deux ou trois ans, la hausse des prix s’accélère, nous ne pouvons plus suivre. »

Le Pays basque est rongé par la malédiction des « territoires attractifs » : une forte pression des nouveaux arrivants sur les prix de l’immobilier, accentuée par la multiplication des meublés touristiques et des résidences secondaires, qui repousse les locaux loin du cœur des villes et des zones littorales. « En regardant le revenu des gens et ce que coûte le logement, nous constatons que 10 % de la population n’a pas les moyens de se payer quoi que ce soit, ni à l’achat ni à la location privée comme sociale », déplore Peio.

Avec le covid-19, nous avons un court instant cru à un tassement de cette folie inflationniste, qui a fait gonfler de 22 % les prix de l’immobilier à l’échelle nationale en dix ans. Mais la hausse est repartie de plus belle et un début d’exode urbain accroît au contraire la pression sur certaines zones rurales. Sur la côte basque, ce phénomène a fait grimper les prix de 15 % sur la seule année 2020.

En quelques mois d’existence, Alda a été assaillie d’histoires individuelles, dessinant une angoisse collective. Comme cette concierge de 65 ans qui continue de travailler pour ne pas perdre son logement dans le centre de Biarritz, où elle a toujours vécu, faute de pouvoir s’y loger par ses propres moyens. Ou ce père de famille divorcé de 45 ans condamné à retourner vivre chez ses parents. Des -histoires tristement banales, comme le sont devenus les chiffres records du nombre de personnes sans domicile et l’humiliant rite de passage imposé à toute une génération de locataires, contraints de produire une liste de garanties sans fin, souvent illégales, pour espérer arracher parmi des dizaines de candidatures un logement en état médiocre et néanmoins hors de prix.

Au Pays basque, 10 % de la population n’a pas les moyens de se loger.

La cherté du logement est un des principaux motifs d’exclusion. Elle creuse les inégalités entre les foyers qui peuvent accéder au crédit et ceux qui en sont exclus, et renforce la reproduction sociale. Il devient en effet de plus en plus compliqué d’acheter sans avoir au préalable hérité. Résultat, en quarante ans, le taux de propriétaires parmi les jeunes a été divisé par deux dans les strates les plus pauvres de la société, tandis qu’il augmente fortement dans les couches les plus aisées (2).

Avec 58 % de propriétaires en France, les partis politiques ne semblent pas pressés de se montrer offensifs et de toucher au statut de propriétaire, qui reste perçu comme une protection personnelle et une assurance que chacun tente de constituer pour sa descendance. « La maison, en basque, se dit “etxe” et elle est tellement centrale dans l’imaginaire collectif qu’elle est à l’origine de beaucoup de patronymes, souligne Peio. Sauf que, si nous ne régulons pas cette liberté d’être -propriétaire, le littoral ne sera bientôt plus qu’une zone de villégiature. »

C’est cette urgence qui a secoué le paysage militant basque, comme elle a électrifié le monde associatif marseillais après le drame de la rue d’Aubagne, en novembre 2018 (3). Le mouvement Alda s’est donc emparé, sur la question du logement comme sur d’autres problèmes, d’une méthode rodée depuis six ans dans les luttes locales : associer et responsabiliser les néomilitants, organiser des actions directes non-violentes, cibler des victoires concrètes sur des cas symboliques.

« Les gens à qui nous avons affaire nous connaissent très bien. Ils savent que nous sommes capables de mobiliser et de médiatiser des affaires. C’est grâce à cela que nous obtenons les victoires d’étape qui feront tenir le mouvement », analyse Txetx Etcheverry.Alda a établi une liste de priorités et pousse les décideurs à prendre des mesures concrètes, pour le plafonnement des loyers ou l’encadrement des meublés touristiques par exemple. « Pour que les changements arrivent, il faut un bruit de fond », résume Peio.

Cette grogne qui monte coïncide avec un véritable changement de paradigme chez les responsables politiques des grandes métropoles, à en croire Ian Brossat, adjoint communiste au logement à la ville de Paris. « Les politiques de régulation sont devenues consensuelles dans toutes les grandes métropoles. Les logiques libérales du “libre équilibre entre l’offre et la demande” ont du plomb dans l’aile. » Ces dynamiques locales ont désormais besoin d’un accélérateur national.

(1) Txetx Etcheverry est cofondateur du mouvement Bizi et d’Alternatiba, également chroniqueur à Politis.

(2) Le taux de propriétaires parmi les 25-44 ans chute de 53 % chez les ménages modestes entre 1973 et 2013 (à 16 %) et croît de 53 % sur la même période (à 66 %) parmi les plus riches. Source : commission des finances du Sénat d’après les enquêtes logement Insee 1973-2013).

(3) Huit personnes sont mortes dans l’effondrement d’un immeuble insalubre en plein cœur du centre-ville de Marseille, le 5 novembre 2018.

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