Après Angela Merkel, le champ des possibles

Les élections législatives du 26 septembre sont les premières depuis 2005 sans l’actuelle chancelière, dont le parti est affaibli. Le SPD remonte, les Verts restent forts.

Rachel Knaebel  • 1 septembre 2021 abonné·es
Après Angela Merkel, le champ des possibles
Trois personnalités pressenties pour la chancellerieu2009: Armin Laschet (CDU), Annalena Baerbock (Verts) et Olaf Scholz (SPD).
© Malte Ossowski / SVEN SIMON / SVEN SIMON / dpa Picture-Alliance/AFP

Le nouveau rapport du Giec sur l’aggravation de la crise climatique, les inondations meurtrières qui ont ravagé des villages et tué plus de 180 personnes en juillet dans l’ouest du pays… Les événements de l’été auraient dû placer la question environnementale au cœur de la campagne des élections législatives allemandes du 26 septembre. Mais si la politique climatique était bien débattue au printemps, à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle qui avait retoqué la loi climat du gouvernement d’Angela Merkel, les discussions de fond sur les programmes sont presque absentes à quelques semaines du scrutin. Et, depuis mi-août, c’est l’actualité de l’Afghanistan qui domine les débats outre-Rhin, entre les ratés des services de renseignement – qui n’avaient pas vu venir l’avancée aussi rapide des talibans –, les évacuations en cours et la question de l’accueil des réfugiés. Après les seize ans de pouvoir d’Angela Merkel, ces législatives rebattent pourtant les cartes politiques.

Dans les sondages, les Verts sont aujourd’hui crédités de 16 à 20 % des voix. Ce qui serait déjà autour du double de leur score de 2017 (8,9 %). Ils ont donc de bonnes chances de faire partie du gouvernement qui sortira des élections. En mai, certains sondages voyaient même les Verts talonner le parti de Merkel, voire le dépasser. Ce qui a un temps placé la candidate écologiste, Annalena Baerbock (40 ans), en possible successeure d’Angela Merkel à la chancellerie. Mais depuis juin les intentions de vote vert ont baissé, sûrement en partie sous l’effet des attaques médiatiques contre leur candidate. Elle a été accusée de plagiat concernant certains passages de son livre publié en juin, ou encore d’avoir menti sur son CV.

Le parti (de droite) d’Angela Merkel, la CDU, chute de son côté dans les sondages depuis des mois. Avec le départ de la chancelière après quatre mandats, sa formation politique a peiné à trouver un successeur. Le parti a finalement désigné Armin Laschet (60 ans), actuel ministre-président du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la région la plus peuplée d’Allemagne, située dans le Nord-Ouest. Mais ce choix est toujours contesté en interne : une partie de la droite allemande aurait préféré avoir pour chef de file dans cette élection le président plus charismatique du parti conservateur bavarois, la CSU, allié de la CDU au niveau fédéral. Il faut dire qu’Armin Laschet mène depuis sa nomination une campagne laborieuse. En juillet, il a été pris en photo dans la zone dévastée par les inondations en train de rire dans une conversation en arrière-plan lors d’une allocution du président allemand en soutien aux victimes de la catastrophe.

Deux voix pour un vote

En Allemagne, les électrices et électeurs ne votent pas directement pour leur chancelière ou chancelier, mais pour leur Parlement, qui désigne ensuite la cheffe ou le chef du gouvernement. Les quelque 60 millions de personnes qui composent l’électorat ont deux voix à donner sur leurs bulletins de vote. La première va directement à un candidat qui doit représenter la circonscription. Ces députés sont élus à la majorité simple. La deuxième voix revient à des listes présentées par les partis. C’est la plus importante, puisque le nombre de sièges attribués à chaque parti au Bundestag dépend du résultat de ce scrutin sur liste, à la proportionnelle. Ensuite, les candidats de chaque parti élus directement par la première voix sont prioritaires. Puis ce sont les candidats des listes qui obtiennent un mandat. Les partis doivent recueillir au moins 5 % des voix au niveau national pour avoir un groupe politique au Bundestag.

Alors qu’elle était créditée de plus de 35 % des voix début 2021, la CDU est tombée à moins de 30 %, et même à seulement 22-23 % dans les enquêtes d’opinion récentes. Elle est aujourd’hui rattrapée par le Parti social-démocrate (SPD), qui est remonté autour de 22-24 %, un score auquel personne ne s’attendait il y a encore quelques mois. Le parti de gauche Die Linke est crédité de 6 à 7 %, le parti libéral FDP de 11 à 13 % et le parti d’extrême droite AfD de 10 à 11 % des voix, ce qui reste important mais représenterait tout de même une baisse par rapport à son score de 2017 (12,6 %).

Parmi les chancelières et chanceliers potentiels, c’est, de loin, le candidat du SPD, Olaf Scholz (63 ans), qui arrive en tête des opinions favorables, loin devant Annalena Baerbock et Armin Laschet. En déclin constant dans les urnes après avoir été pendant deux législatures le partenaire « junior » d’une grande coalition avec le parti de Merkel, le SPD semble avoir aujourd’hui trouvé le candidat à même de lui faire remonter la pente. Ancien maire de Hambourg, Olaf Scholz est aussi ministre des Finances et vice-chancelier de Merkel depuis 2018. Il a donc l’expérience du gouvernement. C’est ce qui manque justement à la candidate verte, selon ses détracteurs. Même si elle est députée au Bundestag depuis 2013, Annalena Baerbock n’a jamais gouverné, ni au niveau fédéral ni au niveau régional, contrairement à l’autre coprésident des Verts, Robert Habeck, qui a été ministre dans l’État-région du Schleswig-Holstein.

« Chez les Verts, un groupe assez fort ne veut pas d’un gouvernement de gauche. »

Mais peu importe la popularité du candidat : en Allemagne, le chancelier n’est pas élu au scrutin direct. Ce sont les majorités au Bundestag qui décident de la couleur du gouvernement (voir encadré). Et pour arriver à une majorité après le vote du 26 septembre, il faudra une coalition entre deux ou trois partis. Une alliance entre les Verts, le SPD et le parti de gauche Die Linke pourrait être envisageable numériquement, selon les résultats du vote. Elle semble néanmoins politiquement difficile. « Le problème est que les trois partis ont en leur sein un nombre important de membres qui ne veulent pas d’une alliance rouge-rouge-verte », explique Andrea Ypsilanti, ancienne présidente du SPD de Hesse et élue au parlement régional. Elle est une fervente partisane d’une union des gauches allemandes. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde au sein de sa formation politique, loin de là. « Il existe toujours une grande réticence au SPD à s’allier avec Die Linke, dit-elle. Et chez les Verts, un groupe assez fort ne veut en aucun cas un gouvernement de gauche et préférerait une alliance avec la CDU, car cela a fonctionné en Hesse et en Bade-Wurtemberg. »

Les Verts gouvernent en coalition avec la CDU dans la région de Hesse depuis 2014, en Bade-Wurtemberg depuis 2016. Ces alliances sont parfois critiquées par l’aile la plus à gauche du parti écologiste, par les jeunes Verts en particulier. «Dans les deux cas, nous n’étions pas pour ces coalitions. Pour nous, on ne peut pas gouverner avec la CDU, car elle essaie toujours de bloquer la politique verte. C’est ce qui se passe en Bade-Wurtemberg », dénonce Anna Peters, la porte-parole des jeunes Verts allemands.

Des alliances rouge-rouge-verte dirigent aussi certains Länder, en Thuringe depuis 2014, à Berlin depuis 2016. «Il est plus facile de trouver des compromis au niveau des Länder, car leurs compétences sont finalement limitées. Dans ces coalitions régionales, les trois partis n’ont pas, par exemple, à s’accorder sur des sujets de politique extérieure ou de maintien de la paix », souligne Andrea Ypsilanti. La question militaire, revenue sur le devant de la scène avec l’actuel chaos afghan, reste un point de désaccord profond entre le parti de gauche allemand et ses deux alliés potentiels. Die Linke rejette tout engagement de l’armée allemande hors des frontières du pays et réclame la dissolution de l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord).

« Même s’il y avait une majorité rouge-rouge-verte, il faudrait aussi que la pression vienne de la base. »

Sur les thématiques environnementales et sociales, en revanche, les programmes des Verts, du SPD et de Die Linke sont proches. Les trois veulent relever le salaire minimum, à 12 euros pour les Verts et le SPD, 13 euros pour Die Linke, et augmenter les impôts pour les plus hauts revenus. Les Verts et Die Linke demandent aussi tous deux une sortie anticipée du charbon, en 2030, et pas en 2038 comme décidé par le dernier gouvernement de Merkel. Les trois partis portent des objectifs ambitieux en matière de transition énergétique. « Au vu de la gravité de la crise dans laquelle nous nous trouvons, sur le plan climatique en particulier, il serait urgent qu’un gouvernement qui prenne vraiment au sérieux le besoin d’une transformation écologique et sociale arrive au pouvoir en Allemagne, estime Andrea Ypsilanti. Même s’il y avait au Bundestag une majorité pour former une alliance rouge-rouge-verte, il faudrait aussi que la pression vienne de la base pour pousser les trois partis à se mettre d’accord.»

Si les Verts devaient entrer au gouvernement, cela pourrait également se faire au sein d’une coalition avec le SPD et le parti libéral FDP. Si la CDU conservait la première place, elle resterait très probablement à la chancellerie. Son partenaire de coalition préféré serait alors sûrement le parti libéral si le nombre de députés des deux partis suffisait pour former une majorité. Merkel a déjà gouverné avec le FDP de 2009 à 2013. Un tel gouvernement serait résolument de droite, libéral économiquement, et a priori une mauvaise nouvelle pour la politique climatique. La CDU pourrait aussi vouloir gouverner avec les Verts. Autre combinaison possible : une coalition entre CDU, sociaux-démocrates et parti libéral, ou même entre CDU, Verts et libéraux. Seule certitude, la CDU refuse toute coalition avec le parti d’extrême droite AfD, même si dans les régions où l’extrême droite fait ses meilleurs scores, en ex-Allemagne de l’Est, des élus locaux conservateurs remettent parfois en question cette règle du barrage.

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