Bidonvilles de Montpellier : ces incendies qui arrangent la préfecture

À Montpellier, trois bidonvilles ont flambé dans des conditions suspectes ces dernières semaines. Des incendies qui ont servi de justification à l’expulsion des habitants et à la destruction des lieux par la préfecture de l’Hérault.

Nadia Sweeny  • 17 septembre 2021
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Bidonvilles de Montpellier : ces incendies qui arrangent la préfecture
© Photo : Médecins du Monde / DR

P endant la nuit, deux personnes masquées sur une moto sont arrivées et ont jeté deux bouteilles avec de l’essence, » témoigne un habitant du bidonville de Nina Simone, au sud-est de la ville. C’était au petit-matin du jeudi 16 septembre. Les caravanes visées sont non habitées. Elles prennent feu et enflamment une partie du campement où plusieurs dizaines de personnes vivent.

Telle une réaction pavlovienne, la préfecture déclenche ce vendredi, le processus qui doit conduire à l’expulsion dudit bidonville sous le prétexte du péril sanitaire. C’est la troisième expulsion sous ce prétexte depuis début août. Toutes, sans exception, font suite à un incendie. Le Mas rouge, à l’est de la ville, 110 habitants dont des dizaines de mineurs, en flamme le 5 août dernier. Expulsé le 31 août. Le Zénith 2, plus de 150 habitants, brûle le 31 août. Il est rasé le 8 septembre. Et maintenant, Nina Simone…

Trois incendies, en quelques semaines, dans trois bidonvilles différents : du jamais vu. « Ça fait dix ans qu’on n’a pas eu d’incendie d’ampleur dans les bidonvilles de Montpellier », témoigne Damien Nantes, coordinateur régional Languedoc Roussillon de Médecins du monde qui intervient très régulièrement sur place. D’autant que les conditions climatiques – des pluies torrentielles – ont plutôt conduit à des inondations dans ces campements, ce qui rend la probabilité du déclenchement d’un feu involontaire, d’autant moins crédible.

D’après Médecins du Monde, les pompiers intervenus sur Zenith 2 faisaient état de plusieurs départs de feux simultanés. Or aucune investigation ne semble avoir été menée pour déterminer l’origine des deux premiers incendies. « On ne nous a pas demandé d’expertise là-dessus, nous confirme le Service départemental d’incendie et de secours de l’Hérault. Normalement, c’est à la police de faire des constatations légales, mais il aurait fallu le faire tout de suite. » Or la destruction des lieux dans la foulée, rend désormais impossible ces constatations.

(Ci-dessous la destruction du Mas rouge)

Au bidonville Nina Simone, la mairie de Montpellier prétend avoir retardé l’intervention des équipes de nettoyage dans l’attente de ces constatations policières.

Cagoulés et armés

Car bien d’autres éléments viennent renforcer la suspicion d’une origine criminelle. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre, des habitants du bidonville du Zénith témoignent avoir vu des hommes armés et cagoulés s’approcher de leur campement. D’après eux, ils auraient tiré en l’air. Des menaces directes qui se réitèrent dans la nuit du 3 au 4 septembre.

Le 13, c’est au bidonville de Saporta que plusieurs témoins évoquent des hommes cagoulés, armés de fusil qui débarquent aux alentours, vers trois heures du matin. Une famille, qui avait trouvé refuge sur le parking du Géant Casino des Arènes témoigne, elle, avoir été menacée directement par trois hommes cagoulés qui ont tiré en l’air de leur Peugeot 308 blanche…

D’après actu.fr, dans la nuit de mercredi 15 à jeudi 16 vers 4h du matin, dans le campement de Bonnier de la Mosson des Roumains intrigués par des bruits suspects ont découvert un individu en possession de matériel incendiaire qui a pris la fuite.

Jeudi 16 septembre, une quinzaine d’habitants de trois bidonvilles différents ont déposé plainte contre X, pour « destruction par moyen dangereux pour les personnes et violence avec arme par personne dissimulant volontairement leur visage et en réunion ». Dans les bidonvilles reconstitués, les gens terrorisés, s’organisent pour faire des veilles de nuit. Contacté, le parquet n’a pour le moment pas donné suite à nos sollicitations. (modification du lundi 20 septembre, ci-après.)

De son côté, la préfecture, au lieu d’organiser la protection des habitants, les expulse. « Cette démarche s’inscrit dans un engagement fort des services de l’État de lutte contre toute source d’insécurité et de délinquance », a même osé Hugues Moutouh, le préfet de l’Hérault dans un communiqué de presse. « Les pompiers estimaient que l’incendie (celui du Mas rouge, ndlr) était lié à l’insalubrité et que les gens vivaient là dans un état de danger permanent. Il fallait évacuer, mais les services de l’Etat se sont organisés pour accompagner cette opération de 100 % de propositions de relogement » s’est-il expliqué au journal Le Monde. « C’est faux ! » s’insurge les associatifs. « Non seulement il ne s’agit pas de relogement mais de mise à l’abri temporaire, dans des hôtels qui ne correspondent pas aux besoins des gens et qui les éloignent de leur lieu de travail ou de leur lieu de scolarité. Mais en plus, plus de la moitié n’ont pas été mis à l’abri ! » s’étouffe Damien Nante.

Prise en charge sociale saccagée

Tous ces bidonvilles étaient pris en charge depuis plus de 5 ans par des travailleurs sociaux et des associations qui aujourd’hui sont effondrés par ces expulsions. « C’est un désastre ! C’est saccager un travail d’intégration qui portait ses fruits : la majorité des gens étaient en emploi, les enfants scolarisés, ils étaient nombreux à avoir un dossier de logement social en cours, souffle Catherine Vassaux de l’association Area. On travaillait de manière intelligente pour aller vers une résorption de l’ensemble des sites de manière pérenne. » Des conventions étaient signées avec les autorités et financées par les fonds publics. « On est dans la schizophrénie la plus totale ! »

Mais ça ne va pas assez vite pour le préfet Moutouh, proche de Nicolas Sarkozy : « Le temps administratif n’est pas le temps associatif. Et puis je ne suis pas tout à fait d’accord avec le bilan que me présentent les associations. J’ai aussi des éléments que celles-ci n’ont pas : des rapports de police qui me parlent de prostitution d’enfants et de trafics divers. »

Des éléments dont les associatifs n’ont jamais entendu parlé : « Et quand bien même ça aurait été le cas : c’est l’expulsion la solution ? où sont les services de l’enfance ? où est la brigade des mineurs ? » demande Damien Nante, de Médecins du monde. Contacté, le cabinet du préfet n’a, pour le moment, pas donné suite.

De son côté, la mairie de Montpellier est comme un lapin pris dans les phares : incapable d’empêcher ni même de s’opposer franchement à la politique du nouveau préfet alors que le maire PS, Michaël Delafosse, membre de l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo, s’était pourtant positionné contre la méthode des expulsions. La situation est d’autant plus délicate que le terrain du bidonville dit du « Zenith 2 » lui appartient. Cette expulsion n’a donc pas pu se faire sans son aval. « La municipalité n’a pas formulé de demande d’expulsion de bidonvilles et demeure extérieure à ces opérations initiées par la Préfecture, en application d’une décision de justice et sur la base d’une demande formulée sous le précédent mandat », se défend-elle dans un communiqué le 8 septembre. Le préfet avait-il le droit d’utiliser une demande formulée par une autre équipe municipale ? Le débat juridique fait rage au sein des collectifs.

Pendant ce temps-là, le Préfet Moutouh reste bien décidé à continuer de démanteler la quinzaine de campements établis sur Montpellier.

Modification du Lundi 20 septembre : Le parquet nous a confirmé la réception d’une plainte collective, transmise pour enquête à la sûreté départementale et indique avoir, dès le premier incendie, donné des instructions à la police pour que des constatations détaillées soient réalisées. Le procureur indique par ailleurs n’avoir pas recu d’information, avant le contenu de la plainte, sur la présence d’hommes cagoulés.

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