La petite armée zemmourienne

Jeunes soutiens radicaux et influenceurs occupent déjà le terrain pour leur poulain. Ils constituent une base militante solide pour un candidat sans parti et pas encore déclaré.

Daphné Deschamps  • 15 septembre 2021
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La petite armée zemmourienne
© JOEL SAGET/AFP

Ils sont une vingtaine devant le tribunal judiciaire de Paris, porte de Clichy, pour soutenir leur poulain. Ce mercredi 8 septembre, Éric Zemmour doit répondre des délits de provocation à la haine raciale, à la violence et injure raciale. Le procès a finalement été reporté au 17 novembre. Les jeunes de Génération Z sont venus avec une banderole, alors que « le Z », comme ils l’appellent, ne s’est pas présenté devant la cour, envoyant son avocat, Me Olivier Pardo, faire des effets de manche et annoncer à demi-mot sa candidature à la présidentielle.

À la tête de cette vingtaine de jeunes, -Stanislas Rigault, fondateur du mouvement et golden-boy des zemmouriens de moins de 25 ans. Il a 22 ans et déjà un sacré CV : il a fondé il y a trois ans L’Étudiant libre, média très à droite encensé par Valeurs actuelles, qui prend position contre la PMA et questionne les limites du libéralisme à droite. Il court maintenant les plateaux de télévision pour tenter de convaincre qu’il existe bien une « hypothèse Zemmour ».

« Dès les premières rumeurs d’une possible candidature de Zemmour à la présidentielle, avec l’enquête de L’Express en février dernier, je me suis dit qu’il fallait l’appeler à y aller. J’ai créé Génération Z, et en quelques mois on est déjà le premier réseau jeune sur Instagram ! » lâche-t-il avec fierté. Une déclaration à relativiser : si @generation_zemmour cumule un peu plus de 12 000 abonnés sur Instagram, ce qui en fait bien le compte de soutien « jeune » à un candidat à l’élection présidentielle le plus suivi pour le moment, c’est loin d’être le compte politique le plus suivi du réseau social. Il est par exemple dépassé par Thonia (@thoniafr), qui se décrit comme influenceuse de droite.

Réseaux sociaux et militantisme de terrain

Son créneau à elle, c’est plus TikTok, où la jeune femme a environ 30 000 abonnés : « TikTok touche des jeunes, des très jeunes, j’ai des gens entre 13 et 25 ans qui me suivent. J’essaye de leur donner une autre vision. » C’est-à-dire différente de celle qu’elle décrit comme imposée aux jeunes, que ce soit sur TikTok ou par l’Éducation nationale, « qui est clairement dominée par une idéologie de gauche et qui la transmet, en cours d’histoire ou d’éducation civique ». Sur le compte de Thonia, on retrouve des vidéos anti-vaccin ou contre le passe sanitaire, du patriotisme sauce roman national, du bonapartisme, et évidemment des vidéos pour la candidature d’Éric Zemmour, le tout en surfant sur les tendances de l’application ultra–populaire chez les -adolescents. Une de ses dernières vidéos est une présentation de Génération Z, avec qui elle assume de militer : « Si tu es d’accord avec Éric Zemmour sur les points qui te semblent les plus importants, rejoins-nous. »

Thonia dit n’avoir sa carte nulle part depuis qu’elle a quitté le Front national de la jeunesse (FNJ) en 2015. Mais elle a adhéré tout de suite au concept du mouvement de Stanislas Rigault. Aujourd’hui, dans sa section locale du Grand Est, elle participe aux campagnes d’affichage et de stickage, s’investit dans la gestion des réseaux sociaux, « enfin du militantisme de terrain, quoi ». Tout en continuant ses vidéos sur TikTok.

Sur le compte de Thonia, star de TikTok, des vidéos anti-vaccin et pro-Zemmour.

Thonia n’est pas n’importe qui : entrée à 17 ans au FNJ, en 2014, elle y passe un an avant de partir parce qu’elle « ne s’y reconnaissait plus ». Elle choisit alors les réseaux sociaux pour militer à l’extrême droite. Elle y retrouve plusieurs « personnalités » qui, comme elle, divergent de l’image que l’on peut avoir des porte-voix de l’extrême droite sur Internet. Thonia est jeune, blonde, elle poste des photos d’elle en robe à fleurs, en manifestation contre le passe sanitaire, avec Jean-Marie Le Pen, ou avec un tee-shirt « Feminism is cancer » (« le féminisme est un cancer »). Elle pose aussi tout sourire en compagnie de ses copines, avec en légende : « Les fafettes réunies ! »

Les copines en question ? Alice Cordier, présidente et fondatrice de Némésis, un collectif « féministe identitaire » connu pour ses positions xénophobes et ses actions coups-de-poing, et Juliette Briens, une autre influenceuse de droite pro-Zemmour, qui intervient depuis la rentrée sur Sud Radio le samedi matin dans « Politique sous influence », aux côtés de Guillaume Bigot, éditorialiste pour CNews. Thonia donne des interviews à Daniel Conversano, vidéaste épinglé par une enquête des Inrockuptibles, et qui se décrit comme « facho décomplexé ». Lui prône la supériorité de la « race blanche ». Thonia, Juliette Briens et toute une série d’influenceurs de droite utilisent leur audience, de plus en plus large, pour faire campagne pour Éric Zemmour.

Des jeunes « très enthousiasmants »

Entre ces influenceurs et les comptes de soutien à Éric Zemmour, il est de plus en plus difficile de passer à côté de la candidature non officielle du polémiste. Il y a Génération Z et tous les comptes de ses sections locales, mais aussi Les Jeunes avec Zemmour, Les Femmes avec Zemmour… Du côté de l’association Les Amis d’Éric Zemmour (lire page 21), on voit d’un très bon œil ces petits jeunes qui roulent à fond pour le polémiste. Au point de leur distribuer tout le matériel de propagande qu’on a pu voir fleurir depuis le mois de juin : « Les Amis d’Éric Zemmour nous fournissent le matériel, on ne s’en est jamais cachés, et on leur en est reconnaissants, raconte Stanislas Rigault. On l’envoie ensuite à nos militants dans tout le pays. » Et les cadres de Génération Z s’organisent pour inonder stratégiquement les communes simultanément, sans trop consulter leur base. « Le processus de décision, je n’en sais rien, nous confie Thonia. On nous dit tel jour, collage national, et on y va. » Le dernier en date a été organisé dans la nuit du 7 au 8 septembre, la veille du procès renvoyé d’Éric Zemmour.

Il y a Génération Z, Les Jeunes avec Zemmour, Les Femmes avec Zemmour…

Même en dehors des Amis d’Éric Zemmour, dans l’entourage très proche du non-candidat, on trouve « ces organisations de jeunesse spontanées très enthousiasmantes ». Il faut dire que 2 000 militants jeunes en quelques mois, il y a de quoi impressionner. Et même se demander d’où ils viennent. En creusant un peu les réseaux sociaux de Génération Z, on trouve assez rapidement des visages habituels des organisations de jeunesse d’extrême droite, même si aucune d’elles n’a ouvertement pris parti pour un ou une candidat·e à l’élection présidentielle pour le moment. Ainsi, l’un des deux visages de la revue de presse hebdomadaire du mouvement, Julien Girard, qui se fait appeler « le Doc », est l’ancien président de la section lyonnaise de la Cocarde étudiante. Il n’est d’ailleurs pas le seul membre de ce syndicat étudiant d’extrême droite à afficher son soutien à Zemmour : ils sont nombreux à faire de même sur leur compte personnel sur les réseaux sociaux. Quelques membres de l’UNI aussi, le syndicat étudiant traditionnel de la droite, même s’ils sont moins nombreux. Historiquement, l’UNI soutient Les Républicains, après l’UMP et le RPR, précisément le parti dont Zemmour se réclame.

Du côté des groupuscules

Hors des organisations de jeunesse, on trouve aussi des zemmouriens dans des groupuscules d’extrême droite : si, encore une fois, il n’y a pas de soutien officiel de l’Action française à la candidature du chroniqueur du Figaro, il suffit de quelques minutes pour trouver des messages en sa faveur sur les réseaux sociaux, postés par des membres de l’organisation royaliste. Certains revendiquent d’ailleurs leur appartenance à Génération Z.

Et puis, sur des photos d’une « soirée entre militants » postées par le compte de la section d’Auvergne-Rhône-Alpes de Génération Z, on reconnaît Adrien Lasalle, cadre lyonnais de Génération identitaire. Cette organisation nationaliste blanche et ouvertement islamophobe a été dissoute en mars dernier par le ministère de l’Intérieur, en raison de ses positions haineuses et de son aspect proche d’une milice. Adrien Lasalle était un des piliers de cette organisation, et surtout de sa salle de boxe identitaire, l’Agogé. Très connu dans les milieux d’extrême droite de Lyon, il est donc invité aux soirées militantes de Génération Z. Interrogé à ce sujet, Stanislas Rigault déclare tout d’abord ne pas savoir de qui il s’agit, puis que celui-ci n’a jamais intégré Génération Z : « C’était une soirée qui servait également de moyen de recrutement, ouverte aux personnes souhaitant découvrir le mouvement. Dans son cas, il n’a pas adhéré. » Mais le lien se fait tout de même, tout comme il a pu se faire avec la Cocarde.

Enfin, s’il faut mentionner une dernière facette des militants zemmouriens, impossible d’ignorer Polémia : ce think tank « sur la défense de l’identité, la critique des oligarchies et la lutte contre la tyrannie médiatique », fondé en 2002 par Jean-Yves Le Gallou, ancien cadre du FN, multiplie les prises de position pro-Zemmour. Dernière en date, une attaque contre la décision du CSA de décompter le temps de parole d’Éric Zemmour, qui a mené à l’arrêt de son émission sur CNews.

Politique
Publié dans le dossier
La peste Zemmour
Temps de lecture : 8 minutes
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