« Les écologistes sont devenus plus crédibles »

Les candidat·es à la primaire écolo entendent participer au renouveau politique à gauche, malgré un retour à des codes présidentiels classiques, selon Vanessa Jérome.

Patrick Piro  • 15 septembre 2021 abonné·es
« Les écologistes sont devenus plus crédibles »
© Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Spécialiste d’Europe Écologie-Les Verts, Vanessa Jérome a travaillé sur l’engagement et la militance au sein du parti, ainsi que sur les violences sexistes et sexuelles en politique. Elle décrypte les signaux donnés par la primaire écologiste et ses candidat·es.

La primaire du Pôle écologiste a suscité un intérêt que n’avait pas connu la précédente, en 2017. Qu’est-ce qui en fait sa spécificité, selon vous ?

Vanessa Jérome : Les Verts ont une grande antériorité en matière de primaire pour sélectionner leur candidat·e. Presque toutes les formules ont été testées – primaire ouverte, fermée, semi-ouverte, organisation limitée au parti ou inter-organisations, etc. Les nouveautés de 2021 tiennent d’abord à l’organisation conjointe de ce scrutin par cinq partis écologistes (1). C’est la traduction d’une énième tentative de recomposer l’écologie politique et d’en faire émerger une nouvelle forme. Avec une seule polémique, in fine, qui a tenu à la contestation de la validité de la candidature de Jean-Marc Governatori (2). Et si Génération·s n’a pas présenté de candidature, à l’heure où son fondateur Benoît Hamon se retire de la vie politique, on peut y voir un retour de service à l’attention d’EELV, dont le candidat Yannick Jadot s’était finalement rangé derrière lui en 2017.

Ensuite, il faut souligner l’impact du contexte, qui justifie l’union par l’urgence écologique. On voit bien que ces candidatures sont motivées par la vivacité de mouvements qui ont imposé leur agenda – marches pour le climat, gilets jaunes, #MeToo, Black Lives Matter, etc. Pour la première fois, les écologistes entrevoient une petite chance de jouer le rôle de pivot et de moteur du renouveau du logiciel des gauches, en sélectionnant un·e candidat·e qui pourrait être en mesure de damer le pion à Jean-Luc Mélenchon et au PS. Et ainsi de jouer leur propre carte, à défaut de l’emporter.

Les candidat·es soulignent à l’envi leur responsabilité d’aller « au bout », et plus seulement de défendre leurs idées. Une nouvelle maturité ?

J’interroge ce terme : on pourrait définir la maturité politique comme l’affirmation d’une rupture avec le modèle présidentiel façon Ve République. Or les candidat·es, dans leur ensemble, exposent à la fois toute la palette des écologies françaises, du centre à la gauche de la gauche – hors droite et extrême droite –, mais aussi toutes les facettes de la perception du rôle présidentiel. Celui qui colle le mieux à la norme classique est Yannick Jadot, avec sa grande stature, sa volonté de prendre une revanche sur son échec de 2017, l’insistance à vouloir « rassembler », ses interventions répétées sur les questions internationales… Éric Piolle tente aussi d’apparaître compatible avec la référence présidentielle habituelle, sur un mode localiste, chef d’une majorité composite à Grenoble – modèle d’un possible « rassemblement » et démonstration d’une capacité à « composer ».

Sandrine Rousseau est la candidate qui rompt le plus avec le modèle viriliste et masculin. Delphine Batho, beaucoup moins, en dépit de son affirmation d’« en finir avec le présidentialisme ». Elle porte l’image d’une professionnelle de la politique, technicienne, la plus capée des cinq en matière de postes à responsabilité assumés, rodée à l’exercice du pouvoir et de la haute fonction publique.

Quant à Jean-Marc Governatori, il est souvent apparu en décalage, avec des sorties confondant la primaire avec le Salon du livre. Il ne faut cependant pas minimiser sa candidature, elle représente une écologie « et gauche et droite » rappelant le non-alignement « ni-ni » d’Antoine Waechter, une mouvance très actuelle.

L’aspiration à la plus haute fonction de l’État est souvent perçue comme paradoxale chez des écologistes rétifs aux trajectoires politiques individuelles…

Cependant, quand les candidat·es affirment « croire à leur élection », ils sont en accord avec une pratique historique constante d’entrisme des écologistes dans les institutions, pour tenter de les subvertir. Et leurs arguments sont audibles, dans cette primaire. Les Verts ont un très long exercice du pouvoir, mais limité à l’échelon des « petits élus », jusqu’à récemment. Avec les municipales de 2020, ils ont passé un cap, avec la conquête de grandes agglomérations. Éric Piolle est le premier maire écologiste réélu dans une ville de plus de 100 000 habitants. Si l’on peut parler de maturité, elle tient peut-être à ce signe que l’ambition présidentielle est désormais plus investie qu’auparavant chez les écologistes.

Vous paraissent-ils plus crédibles aux yeux de l’opinion ?

C’est indéniable. Il y a le dérèglement climatique, que tout le monde subit, et face auquel les écologistes ont l’avantage de l’antériorité dans la dénonciation de l’urgence. Il y a aussi l’effet du chiffre : leurs bons résultats électoraux leur donnent une assise. Et les journalistes ont moins de prise pour railler leurs dissensions : la famille ne s’écharpe pas. Elle met même en scène une scénarisation de la primaire : c’est un·e écologiste véritable qu’elle désignera, quel qu’en soit le résultat. « Toutes et tous uni·es dans l’urgence », c’est le message que martèle Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV.

Un sondage consacre Yannick Jadot comme le meilleur candidat, et de très loin (3). Semble-t-il le mieux ajusté au format de la présidentielle ?

Je suis convaincu que c’est ce qu’il dégage auprès de l’opinion. Homme, voix grave, verbe de tribun, capacité d’interrompre un journaliste ou un débatteur, de répondre du tac au tac… Au sein du panel, il rassemble le plus d’atouts pour défendre ses chances dans le jeu actuel de la présidentielle, et plusieurs de ses soutiens indiquent explicitement qu’il s’agit d’un argument de leur ralliement, par raison.

Cette situation dit aussi beaucoup de l’incapacité des militants et des experts, dans ce pays, à penser la présidentielle autrement qu’à travers des codes gaulliens, alors que les enquêtes montrent une demande de « plus de femmes », moins de « style jupitérien ». D’une certaine manière, ce sondage traduit une leçon tirée des primaires de 2011 et de 2016 : après l’échec d’une Eva Joly ou la non-qualification d’une Cécile Duflot, puisque ça ne marche pas avec une femme, on s’en remet à « l’homme qu’il faut ». Une forme de renoncement à subvertir la présidentielle…

(1) Europe Écologie-Les Verts, Génération·s, Génération écologie, Cap écologie (fusion de Cap 21 et de l’Alliance écologiste indépendante) et le Mouvement des progressistes.

(2) Pour le compte de Cap écologie.

(3) Ipsos-Sopra Steria pour France Info, 4 septembre.