Quentin Tarantino : Dans la peau de Brad Pitt

Quentin Tarantino publie une novellisation d’Il était une fois à Hollywood. L’occasion d’évoquer sa façon bien à lui de construire les personnages.

Pauline Guedj  • 8 septembre 2021 abonné·es
Quentin Tarantino : Dans la peau de Brad Pitt
Quentin Tarantino, Brad Pitt et Margot Robbie sur nle tournage d’Il était une fois à Hollywood.
© COLUMBIA PICTURES/Photo12/AFP

Le 6 juillet, à l’occasion de la parution aux États-Unis de son premier roman, Quentin Tarantino accorde un entretien au critique Elvis Mitchell. Avec l’enthousiasme qu’on lui connaît, le cinéaste y évoque son souhait de transformer Once Upon a Time… in Hollywood, son film de 2019, en roman, son envie d’y reproduire le Los Angeles de son enfance et son travail pour construire les personnages. «Lorsque j’écrivais le film, si je voulais en savoir plus sur la carrière de Rick Dalton (alias Leonardo DiCaprio), je le mettais dans une scène avec Marvin (Al Pacino). Marvin lui posait des questions, Rick y répondait, puis Marvin extrapolait sur ses réponses. Cette conversation m’apprenait tout ce dont j’avais besoin sur le personnage. » Jamais incluse dans le scénario, cette séquence restait une ébauche. Son seul objectif : permettre à Tarantino d’affiner son personnage principal, le laisser s’exprimer, se raconter.

Il était une fois à Hollywood, Quentin Tarantino, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, 416 pages, 23 euros.
Il était une fois à Hollywood, le roman, est alors précisément une exploration de cette méthode, envisageant, pour creuser un personnage, de le plonger dans différents environnements, de le confronter à d’autres protagonistes, de lui permettre de raconter une séquence depuis son point de vue, là où il n’était dans le scénario qu’un des témoins de la scène.

Grand amateur du « et si » – et si Hitler était mort dans un cinéma à Paris, et si les agresseurs de Sharon Tate étaient entrés dans la maison du voisin –, Tarantino pousse la logique à l’intérieur même de la matière cinématographique en réécrivant le récit qu’il avait fixé sur la pellicule, pour en changer la structure, décaler sa narration et surtout permettre à ses personnages de se révéler. Il s’adresse ainsi aux spectateurs du film et leur propose de faire un pas de côté par rapport à l’œuvre qu’ils connaissent.

Ces efforts pour examiner la chair dramatique des personnages se concentrent sur l’ensemble du casting. Pour Rick Dalton, Tarantino s’attache à des détails du quotidien, ses relations avec les réalisateurs et les comédiens, la langue qu’il utilise pour parler de son métier, précisant ainsi son portrait d’un acteur en 1969. Pour Cliff Booth, sa doublure (Brad Pitt), Tarantino révèle son passé de soldat, sa passion pour le cinéma européen et sa fréquentation des milieux troubles de Los Angeles. Le personnage en ressort plus ambigu, plus en phase avec les traumatismes de l’époque, marquée par la mémoire d’une guerre. Dans le roman, Roman Polanski devient aussi un personnage que le lecteur connaît, cultivant son regard européen sur l’Amérique qu’il juge et toise.

Mais parmi la galerie des individus qui formaient le film, ce sont certainement les personnages féminins, souvent trop brouillons à l’écran, qui ici gagnent le plus d’ampleur. Les jeunes hippies Pussycat et Squeaky sont au centre de longs chapitres, devenant pour la seconde la presque narratrice du passage dans le Spahn Ranch occupé par Charles Manson. L’actrice de 8 ans, Trudi, pousse plus loin encore ses réflexions sur les techniques du jeu de l’acteur. Sharon Tate, enfin, se voit accéder ici au rang de réel personnage.

Dans le film, l’actrice était montrée par Tarantino comme un ange flottant au-dessus de la ville. Son destin tragique obligeait son interprète, Margot Robbie, à limiter sa force d’incarnation, faisant d’elle une image, une icône. Dans le roman, Tarantino décide d’évacuer complètement le meurtre de Sharon Tate. La scène finale du film est réduite à quelques mots, déplacée dans l’histoire, et remplacée par plusieurs séquences où l’on suit l’actrice lors de son départ du Texas, lors de ses conversations avec son coiffeur et seule chez elle dans une vie rythmée par les allées et venues de son époux. Sharon Tate rejoint ainsi Cliff Booth et Rick Dalton dans une représentation de la solitude d’Hollywood. Qu’on ait le vent en poupe ou qu’on soit un has been, on est surtout bien seul, et la nostalgie, marque de fabrique du cinéaste, dialogue avec une profonde mélancolie.

Littérature
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