Crise climatique : quelle information ?

Les Assises internationales du journalisme ont été révélatrices d’un fossé entre deux visions de la profession : traiter l’actualité comme elle vient… ou lancer les sujets qui méritent de la faire. Ces deux approches s’opposent sur la question du climat, mais pas seulement.

Daphné Deschamps  • 6 octobre 2021 abonné·es
Crise climatique : quelle information ?
© JANEK SKARZYNSKI / AFP

Cette année, les Assises internationales du journalisme de Tours étaient intitulées « Chaud devant ! Urgence climatique et responsabilité journalistique ». Au regard de ce titre, on aurait pu s’attendre, si ce n’est à des solutions, au moins à une vraie réflexion et à un dialogue sur le rôle des médias et des journalistes dans la gestion de la crise climatique. Si le programme semblait aller dans ce sens, la réalité était légèrement différente. Évidemment, il était impossible pour une seule personne d’assister à tous les ateliers et à toutes les conférences. Et des choses intéressantes ont été dites dans toutes celles auxquelles Politis a pu assister. Mais, au cours de ces journées en bord de Loire, certains débats ont été plus pertinents que d’autres, et les assises sont parfois restées bloquées face à l’ampleur des sujets abordés.

Organisées depuis maintenant six ans à Tours, après des années d’itinérance, ces assises veulent être « un lieu d’échange et de réflexion sur le journalisme et sa pratique, indépendant de toute tutelle ». Chaque année, le thème s’attache à un point sur lequel la profession bute, ou du moins se questionne. C’est l’occasion pour les journalistes, mais aussi de nombreux autres acteurs des médias, de se rencontrer, de discuter et d’avancer des pistes de réflexion sur les moyens d’adapter les médias à l’époque. En l’occurrence, l’édition 2021 a surtout été l’occasion d’un état des lieux légèrement déprimant de l’impasse dans laquelle la profession se trouve sur la question du climat, et a fourni une vue assez large du clivage, souvent générationnel, qui la touche : le rôle des journalistes est-il de dire l’actualité ou de la faire ?

La première matinée était consacrée à questionner la possibilité de faire des médias « zéro carbone », et la part de responsabilité qu’avaient d’abord les journalistes en tant qu’individus, puis les entreprises de presse, dans cet objectif. Au micro, entre autres, un responsable du Monde, un correspondant du Guardian, une journaliste suédoise de Journalisten, un responsable de Vosges Matin, une journaliste de La Croix… La discussion, menée uniquement entre les intervenants et sans interaction avec le public la majeure partie du temps, tourne vite en rond : quelle que soit la thématique liée au climat abordée, le problème, c’est l’actualité qui n’en parle pas ; le problème, ce sont les politiques qui n’en parlent pas ; le problème, c’est toujours autre chose, et le problème, c’est surtout la peur panique d’être accusés de militantisme si on pousse un sujet plutôt qu’un autre, si on hiérarchise l’information d’une manière qui ne plaît pas… Bref, si on sort des clous. Dans tous les ateliers autour du climat, le même tabou revient, abordé plus ou moins frontalement : où poser la limite entre engagement d’un média et militantisme ?

Pourquoi suivre le calendrier imposé par les politiques sur la sécurité ou l’immigration, au détriment de sujets comme la destruction de la nature ?

Le fossé générationnel qui s’était dessiné entre les intervenants devient encore plus apparent quand vient enfin le (court) temps de questions du public. Beaucoup sont balayées d’un revers de main, en particulier dès qu’elles abordent frontalement le cœur du problème : pourquoi se sentir obligés de suivre le calendrier imposé par les politiques, et en particulier la droite et l’extrême droite sur la sécurité, l’immigration et les questions identitaires, au détriment de tous les autres sujets ? Autre pirouette après une question sur la formation des journalistes : oui, mais on n’a pas le temps ; oui, mais ça demande de l’organisation ; oui, mais ce n’est pas forcément aux médias de la prendre en charge… Certains tentent d’engager le débat, comme Isabelle Bordes, journaliste de Ouest-France, à la rédaction locale de Coutances, qui essaye d’expliquer, tant bien que mal, qu’il est nécessaire de former les journalistes tout au long de leur carrière, mais qu’ils n’ont pas le temps de s’autoformer. Son journal a bien proposé des formations à ses rédacteurs, notamment sur la question de la mer et de sa pollution, centrale dans de nombreuses éditions locales du journal. Pourquoi ne pas faire de même sur la question du climat ? Son intervention rencontre assez peu de réponses.

La première conférence du soir vient contrebalancer un peu cette atmosphère, grâce à deux profils dont l’association peut être surprenante à première vue. Hugo Clément, superstar issue de l’écurie « Quotidien », qui a discuté dans l’après-midi avec des collégiens et des lycéens de son engagement pour la cause animale et le climat, se retrouve sur la scène de l’amphithéâtre de la faculté des Tanneurs avec Morgan Large, journaliste bretonne pour une toute petite radio associative, qui enquête sur les dérives de l’agroalimentaire dans sa région, ce qui déplaît dans sa commune. Les menaces contre elles se sont multipliées, allant de l’empoisonnement de son chien au sabotage de sa voiture. Aucun des deux ne rechigne à reconnaître son engagement : enquêter, c’est forcément faire un choix de sujet. Et justifier une enquête, c’est justifier l’intérêt que lui porte le public, qu’il s’agisse de ce qu’il y a dans nos assiettes ou de la destruction de la nature de l’autre côté de la planète. Leur vision du journalisme s’accorde sur un point : l’actualité se construit et, face à la crise climatique, s’engager pour porter des sujets de fond sur la question et amener le débat politique autour d’eux est un devoir.

Aux assises, finalement, les conférences qui ont le moins montré ce fossé sont celles qui n’étaient pas centrées sur la question climatique : le débat était beaucoup plus ouvert dans les ateliers sur le genre, l’élection présidentielle, les rapports entre police et journalisme, ou la sécurité des journalistes dans les pays en guerre. Des sujets qui peuvent pourtant aussi cliver sur la question de l’engagement, mais apparemment moins que la pire crise climatique de l’histoire de l’humanité.

Idées
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