Michel Tubiana, un tempérament de lutteur

L’avocat, qui fut président de la Ligue des droits de l’Homme, a consacré sa vie aux causes justes et difficiles. L’annonce de sa mort, le 2 octobre, a déclenché une vague de tristesse et d’hommages.

Christophe Kantcheff  • 4 octobre 2021
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Michel Tubiana, un tempérament de lutteur
© STEPHAN AGOSTINI / AFP

L’avocat Jean-Jacques de Felice, son mentor, disait de lui : « Il a un tempérament de lutteur, vif et pratique. » Quiconque l’a un jour côtoyé n’a pu qu’être frappé par la carrure imposante de Michel Tubiana, qui lui donnait du coffre et s’accordait avec son tempérament de « quarantièmes rugissants ». Et pourtant… Le 2 octobre, Michel Tubiana a trouvé sur son chemin plus fort que lui : le covid l’a emporté. Personne ne s’attendait à sa disparition, à 69 ans, dont la nouvelle a suscité tristesse et affliction chez celles et ceux qui le respectaient – comme l’actuel garde des Sceaux, qui lui a rendu hommage sur Twitter –, militaient à ses côtés ou, tout simplement, l’aimaient – car cet homme, derrière ses allures parfois bourrues, était profondément aimable. « La Ligue des droits de l’Homme est en deuil », a immédiatement affiché l’association, dont il a été le président de 2000 à 2005 et pour laquelle il était encore très actif. Il en était l’une des voix les plus écoutées, analyste lucide des rapports de force et des situations sociopolitiques, gardant le cap quoi qu’il advienne.

Le racisme, les injustices, le non-respect de l’égalité des droits, Michel Tubiana y a été rapidement sensible dans l’Algérie colonisée où il est né en 1952. Traumatisme familial originel : son père, agréé au tribunal de commerce à Alger, juif républicain et secrétaire de la section de la LDH d’Alger dans les années 1930, a perdu sa nationalité par décision de Pétain.

Arrivé en France en 1962, le futur avocat accélère sa politisation avec les événements de Mai 68. Peu à l’aise avec le fonctionnement des organisations politiques, il est cependant séduit par le trotskysme. Mais c’est surtout par le biais de sa profession que Michel Tubiana déploie son action militante.

Au sein du Mouvement d’action judiciaire, qui regroupe des avocats et des magistrats, dont l’objectif est de réformer en profondeur la justice, il participe à la défense de Klaus Croissant, avocat de la « bande à Baader », plaide devant la Cour de sûreté de l’État, juridiction d’exception qui juge les comités de soldats et les militants autonomistes bretons et basques. C’est là qu’il rencontre des personnalités qui le marquent à vie, comme Henri Leclerc et Jean-Jacques de Felice (disparu en 2008), déjà cité. Ce dernier est en apparence l’antithèse de Tubiana : fluet, la voix douce et posée. Les deux hommes vont s’entendre à merveille. Les murs de la LDH résonnent encore des discussions complices entre l’opposant à toute violence de Felice, d’obédience protestante, et le non pacifiste Tubiana, dont le premier fait d’armes est d’avoir envoyé à l’infirmerie un lycéen qui l’avait traité de _« sale juif ». Ils s’engagent tous deux en faveur des Kanaks. Date-clé dans son parcours, la découverte de la Nouvelle-Calédonie déplace les repères de Michel Tubiana, qui, là-bas, a pour alliées les Églises tandis que, membre lui-même du Grand Orient, il doit affronter les francs-maçons, soutiens du système colonial local.

Son intransigeante clairvoyance et sa force d’entraînement vont manquer cruellement.

Remarquable orateur et redoutable rhétoricien, il est un président de la LDH très présent dans le débat public et rassembleur en interne malgré les débats clivants sur le voile : l’association refuse toute mesure de discrimination et récuse la loi de 2004. Sous son impulsion, la LDH scelle des alliances au sein du milieu associatif et syndical, et devient moteur dans la lutte pour les droits économiques et sociaux. Elle s’oppose aussi à la guerre en Irak en 2003 et réclame le retrait d’Israël des territoires occupés, engagements internationaux que l’avocat poursuivra au sein de l’organisation Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, dont il est le président de 2012 à 2018.

Comment ne pas rappeler ici l’apport décisif qui fut le sien comme conseil dans la reprise de Politis par ses salariés en 2006 ? Le succès de cette aventure lui doit beaucoup, lui qui a toujours été un ami de notre journal.

Michel Tubiana fut de tous les justes combats. Dans un texte de 2006 pour la revue Mouvements, il dénonçait en ces termes l’attitude du Parti socialiste, qui avait approuvé la proclamation de l’état d’urgence à la suite des émeutes sociales dans les banlieues l’année précédente : « C’était ignorer, faute de pouvoir y répondre, la crainte qui taraude des millions de personnes qui vivent sur une ligne de crête, la crainte de tomber du mauvais côté. » Son intransigeante clairvoyance et sa force d’entraînement vont manquer cruellement. Michel Tubiana était une conscience. Avec sa disparition, c’est une de ces lumières ennemies jurées des peurs et des tentations obscures qui s’éteint.

Société Idées
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