Cirque : De chair et de papier

Dans Pli, la spécialiste de corde lisse Inbal Ben Haim fait dialoguer les cultures du monde par un subtil jeu de pliages, froissages et déchirages.

Anaïs Heluin  • 24 novembre 2021
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Cirque : De chair et de papier
© Loic Nys/Sileks

La troisième édition de la Nuit du cirque (du 12 au 14 novembre) fut l’occasion pour de nombreuses structures engagées dans la production ou la diffusion de créations circassiennes de donner de la visibilité aux artistes qu’elles soutiennent. Organisée par l’association Territoires de cirque, avec l’aide du ministère de la Culture, la manifestation a rassemblé pas moins de 160 propositions artistiques dans 136 établissements culturels, situés pour la plupart en France. Son but : « améliorer la reconnaissance et la compréhension de cet art, que nous considérons comme majeur, par le public, les tutelles et les théâtres», déclare dans un entretien le président de l’association, Philippe Le Gal.

La participation des Subsistances – Subs pour les intimes – à Lyon, qui se définissent comme un « laboratoire international de création artistique », indique que l’objectif visé n’est pas si lointain. En programmant Pli d’Inbal Ben Haim durant cette longue nuit, et même au-delà, le lieu a affirmé fortement son intérêt pour un cirque en permanente évolution esthétique.

Le geste des Subs est d’autant plus fort que Pli est sa deuxième production déléguée. Jusqu’à l’arrivée de Stéphane Malfettes à sa direction, le lieu accueillait des créations sans intervenir en production. En accompagnant désormais des artistes financièrement et sur le plan logistique, l’équipe des Subs participe au développement d’esthétiques singulières, souvent à la croisée des disciplines. C’est le cas du travail d’Inbal Ben Haim, où cirque et arts plastiques se rencontrent comme ils ne l’ont jamais fait avant, à travers l’utilisation du papier non pas comme support mais comme matière à regarder et à traiter pour elle-même.

Pli est en cela une première, et le milieu du nouveau cirque, désireux d’évolutions et de reconnaissance, n’a pas tardé à s’en apercevoir et à suivre la structure lyonnaise dans son soutien à la jeune circassienne sortie du Centre national des arts du cirque (Cnac) en 2018. Inbal est ainsi lauréate 2020-2021 du label de cirque européen -Circusnext, réputé pour la qualité de sa -sélection.

Avant que de voir le jour en pleine nuit, Pli était ainsi déjà programmé par de nombreux lieux, qui ne vont pas regretter leur pari. Accompagnée au plateau de l’« ingénieur froisseur plieur » Alexis Mérat, rencontré au Cnac, et de l’artiste et scénographe Domitille Martin, Inbal Ben Haim s’inscrit dans le sillage d’artistes telles que Chloé Moglia, Mélissa Von Vépy ou Fanny Soriano, qui pratiquent l’acrobatie aérienne de manières nouvelles.

En effet, dans Pli, le papier se fait agrès. Réalisés à vue, des pliages, déchirages ou encore froissages des différents types de papier utilisés dans la pièce débouchent en effet sur des sortes de sculptures abstraites, dont certaines offrent à la spécialiste de la corde lisse des possibilités nouvelles en matière d’ascension et de descente. Suspendue dans des lianes de papier, elle dit dans son langage acrobatique le mélange de force et de fragilité que l’on trouve dans tout acte artistique, et dans l’existence de chacun.

Dans Pli, la matière quotidienne qu’est le papier a beau poétiser le cirque et en souligner les risques et les enjeux, elle ne cesse pour autant de ramener artistes et spectateurs à ce qui est extérieur à cette discipline : à la vie sans folles prouesses physiques, sans luttes acharnées contre les lois de la pesanteur. À la nature aussi, à laquelle font souvent penser les formes que les trois interprètes donnent aux pages, aux lanières, aux copeaux qu’ils manipulent tantôt tous ensemble en une sorte de chorégraphie, tantôt seuls.

Ces paysages abstraits évoquent peut-être ceux d’Israël où Inbal Ben Haim a grandi, peut-être aussi ceux de France dont sont originaires Alexis Mérat et Domitille Martin. On peut encore y voir les traces laissées par la culture et les arts japonais dont l’artiste se dit très inspirée – elle cite par exemple le styliste Issey Miyake, le travail de Chiharu Shiota, fait essentiellement de fils arachnéens, la danse butô ou encore le concept spirituel du wabi-sabi, qui consiste à chercher la beauté dans l’imperfection. Au creux de Pli, les cultures du monde dialoguent avec intensité.

Pli, 25 et 26 novembre au Cirque-Théâtre Elbeuf (76), 02 32 13 10 50, cirquetheatre-elbeuf.com. Également le 11 décembre au Festival de danse de Cannes (06), puis une tournée passant par Orléans (45), Grenoble (38), l’Académie Fratellini à Saint-Denis (93).

Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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