Géraldine Stringer : L’hospitalité comme mimosa en fleurs

Montrez-nous qu’on a tort documente en mots et dessins la beauté d’une maison ouverte, quand sont fermées les frontières. Parce que là est la vie.

Marion Dumand  • 8 décembre 2021
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Géraldine Stringer : L’hospitalité comme mimosa en fleurs
© FRMK

D’où je vous écris, Géraldine Stringer, l’auteure de Montrez-nous qu’on a tort, n’est pas une amie. « MaDjé » m’est bien plus. Douze ans de vie commune : une amitié coup de foudre, un village en toile de fond, une association où tout entre, et la vie (fous rires et rages, rencontres belles et foutraques, rocamboles ou quotidien). Voilà, vous savez.

Des montagnes, Montrez-nous qu’on a tort arrive cet hiver avec le poids de deux chemins, que j’ai observés au loin se nouer : celui de Géraldine, artiste et militante, et celui d’Hubert. Hubert, c’est une maison ouverte non loin de la frontière italienne, où toutes et tous peuvent se poser, oui, un homme et une maison comme un arbre, qui permet de nicher, repartir, revenir, sans règles autres que celles qui se font ensemble. Hubert, c’est l’hospitalité comme mimosa en fleurs : éclatante, évidente, là.

Alors, pour évoquer ces femmes et ces hommes qui se jouent des frontières et des lois, hôtes qui passent ou accueillent, alors, parce qu’« il y en a marre de pleurer », Géraldine est allée dessiner Hubert et ses passager·ères, ses ami·es, ses filles et fils, qui le surnommaient « Baba ».

Une fois encore, je dois faire un détour par l’intime. Baba, Hubert, est mort il y a quelques jours. Et le livre nous arrive au même moment. Voilà.

Le livre-cahier est grand ouvert. Il est simple, très blanc. On dirait les cahiers de croquis que -Géraldine rapportait de là-bas. Et j’y retrouve la matière de ses dessins, couleurs crayonnées mêlées pour parvenir aux justes tons. Et puis la texture sensible, la densité d’un détail. Un détail essentiel. Le reste n’existe pas. Ce peut être une chaise, un nombril de vénus, une bâche. À droite, jaune, vert et marron dessinent la branche maîtresse d’un mimosa, ses rameaux, quelques plantes aux tiges droites et dressées. Au loin, à peine ébauchées, une forme architecturale et quelques aiguilles de pin. Leur font face les mots d’Hubert, directs. « Tu crois pas qu’ils m’aident ? Je me sens bien vivant. »

Dans Montrez-nous qu’on a tort, les paroles sont égales, toutes en majuscules et crayon de papier. Primordiales et éphémères. Aucune ne s’accompagne de guillemets qui éloignent, séparent. C’est un flux, une rivière. Parfois, un locuteur est nommé : Derrida, Jacob ou Azziz. Comme un poisson dans l’eau vive, la même vitalité et quelques reflets en plus.

Filez la comparaison et on arrive à la mer, la Méditerranée. On aimerait en sortir, qu’ils et elles s’en sortent. Par-delà la garrigue, la mer, un rocher, un avion qui s’envole, un nuage : « azurazurazurazurméditerranéefuckingmedfuckingborder ». La feuille verte d’un palmier, celles de plantes en bac, le gris des caméras de surveillance et d’enseignes commerciales. « fuckingconsofuckingexploitationfuckingcapitalismj’aipasenviedeparlerdeça ».

En sept pages, c’est dit, torché, l’horreur, l’immonde, les causes. Rayés de la carte, pour une fois. Géraldine nous amène ailleurs, là où la nuque de Grace s’orne de frisottis doux et bleu sombre, là où quelques lignes se rencontrent, posent vallée, gorge, route peut-être, parsemées de fleurs aux pétales clairs et aux cœurs denses, les dents des arbres sur l’horizon, leurs verts joints.

Avec Hubert, nous entrons du côté lumineux de l’histoire. « Passionnant, incroyable, un privilège. Rencontrer des gens qui ont des parcours extraordinaires. » Nous suivons ce renversement implacable et lucide et vibrant, où ne s’égalent pas lois et conscience, où s’affirme « notre sécurité ?! Leur sécurité ! ».

Montrez-nous qu’on a tort est un titre-manifeste, mais un livre de l’infime-sublime ou inversement. Géraldine saisit des bribes et nous en construit un monde. Elle nous offre des interstices, des fissures où se glisser, s’émouvoir, s’arrêter nous aussi un temps. Se laisser toucher dans l’intime, frémir et désirer ce beau-là. La compréhension de Géraldine, sensible et géographique. La force d’Hubert, « ni peur ni colère ». Et celles et ceux qui nous offrent un bout de leur route.

Montrez-nous qu’on a tort, Géraldine Stringer, FRMK, coll. « Amphigouri », 96 pages, 20 euros.

Pour le « kit ­rencontre + expo + etc. » autour du livre, voir : atelierautonomedulivre.org

Littérature
Temps de lecture : 4 minutes
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