Splann ! Bousculer les médias de l’intérieur

Qu’ils soient nationaux ou locaux, professionnels ou semi-amateurs, les médias libres existent. Sylvain Ernault, membre du comité éditorial de Splann ! explique la stratégie de diffusion, digne d’une « agence de presse ». Verbatim.

Patrick Piro  • 15 décembre 2021
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Splann ! Bousculer les médias de l’intérieur
Ines Léraud, coautrice de la BD « Algues vertes, l’histoire interdite », subit des pressions fortes et des poursuites judiciaires de la part de groupes agroalimentaires.
© Vincent Gouriou / Wikimédia

Notre aventure commence au printemps 2020, alors qu’une campagne est lancée en Bretagne pour soutenir Inès Léraud. Coautrice de la BD Algues vertes, l’histoire interdite, elle subit des pressions fortes et des poursuites judiciaires de la part de groupes agroalimentaires pour avoir dénoncé l’impact de leurs pratiques sur la pollution des eaux. Cette mobilisation a mis en lumière la difficulté d’enquêter sur des industries régionales puissantes et qui ne sont pas accoutumées à communiquer vers le public, c’est le moins qu’on puisse dire. De nombreuses informations d’intérêt public sont dissimulées. Éclairer ces zones d’ombre dans le traitement de l’actualité bretonne, en ­particulier dans l’agroalimentaire, c’est le point de départ de Splann !, média en ligne inspiré du site d’investigation Disclose.

Si nous avons choisi de fixer notre siège social à Guingamp, ce n’est pas un hasard : c’est la ville où est installé Chéritel, qui avait attaqué Inès Léraud, membre de notre comité fondateur. Ce groupe industriel s’est distingué ces dernières années pour avoir employé illégalement des travailleurs bulgares et dans des conditions indignes, ou pour avoir vendu pendant des années des tomates importées sous l’estampille « produit en France ».

Par ailleurs, une partie du public de la presse régionale manifeste sa préoccupation face au fait que certaines informations particulièrement importantes n’arrivent pas à « sortir ». Ainsi, la cour administrative d’appel de Nantes vient de bloquer la demande d’extension d’une méga-­porcherie en zone littorale, décision qui retoque une autorisation donnée par le préfet du Finistère : la nouvelle n’a fait que quelques lignes dans les journaux, il n’y a pas eu la moindre enquête sur ce fait majeur ! Pourquoi cette timidité ? Les médias protègent-ils leurs budgets publicitaires ? En tout cas, Splann !, média totalement indépendant, n’est pas tenu par ce type de contrainte. Alors on y va franco.

Notre modèle est le suivant : nous sommes une association de 22 bénévoles, dont des journalistes, dotée d’un comité éditorial qui décide du lancement des enquêtes. Celles-ci sont financées par des collectes de fonds qui assurent des conditions de travail confortables pour les journalistes, mensualisés à des niveaux de rémunération supérieurs à la moyenne et disposant de temps – entre trois et six mois par enquête. Par ailleurs, ils travaillent en binôme, ce qui permet d’associer des profils complémentaires sur chaque enquête. Nous nous définissons comme une forme d’agence de presse. Certes, nous publions nos enquêtes sur notre site, mais notre stratégie de diffusion consiste à proposer prioritairement nos contenus, gratuitement, à des médias locaux de grande diffusion. France 3 Bretagne, qui apprécie notre travail, touche plusieurs centaines de milliers de personnes !

Il ne s’agit pas de surjouer une opposition « média indépendant contre médias conventionnels », comme Le Télégramme, par exemple, nous l’a reproché. Cependant, nous tentons bien de les bousculer de l’intérieur. Notre équipe compte plusieurs journalistes, et ils ont régulièrement été confrontés à des obstacles, au sein des médias locaux où ils ont travaillé, quand il s’est agi d’enquêter : temps limité, longueur contrainte, etc. Et cela se vérifie d’autant plus quand on veut titiller des potentats locaux. Il existe très peu d’enquêtes sur l’agroalimentaire en Bretagne, c’est une réalité. »

Propos recueillis par Patrick Piro

Médias
Temps de lecture : 3 minutes
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