Aux spectateurs citoyens, la démocratie indigente

Deux films à l’affiche cette semaine, Les Promesses, de Thomas Kruithof, et Municipale, de Thomas Paulot, offrent des représentations stimulantes de la politique sur grand écran.

Christophe Kantcheff  • 26 janvier 2022 abonné·es
Aux spectateurs citoyens, la démocratie indigente
Laurent Papot, comédien-candidat de u00ab Municipale u00bb.
© unifrance.org

La série Baron noir mise à part (dont l’un des auteurs est le coscénariste des Promesses, Jean-Baptiste Delafon), la représentation de la politique sur les écrans a pris la forme d’un cliché. Exemple : pas une présidentielle sans que, désormais, quelques jours après son terme, un reportage sur la campagne de tel ou tel candidat ne soit diffusé. Une misère, dont l’origine – glorieuse celle-là – fut le film de Raymond Depardon, 1974, une partie de campagne, longtemps interdit par Valéry Giscard d’Estaing, sur la campagne qui porta celui-ci à la présidence de la République. Il s’agissait alors d’une œuvre pour le cinéma qui renouvelait la manière de poser un regard sur un leader politique.

Les Promesses, Thomas Kruithof, 1 h 38. Municipale, Thomas Paulot, 1 h 49.
Depuis, le cinéma français a beaucoup tenté. En fiction -particulièrement. On se souvient du ratage de La Conquête (2011), de Xavier Durringer (sur Nicolas Sarkozy), ou du peu convaincant Quai -d’Orsay (2013), de -Bertrand -Tavernier, pourtant tiré du récit graphique très inspiré d’Abel Lanzac et Christophe Blain. Plus récemment, Alice et le maire (2019), de Nicolas Pariser, offrait une représentation attrayante mais traditionnelle du pouvoir. Hors du lot, L’Exercice de l’État (2011), de Pierre Schœller, n’a pas été égalé dans sa faculté à décrire la dépolitisation… du politique. Deux films à l’affiche cette semaine s’ajoutent à la liste.

Les Promesses, de Thomas Kruithof, est une œuvre à la forme classique. Une star, Isabelle -Huppert, y interprète une maire, Clémence Collombet, dans une banlieue déshéritée. Elle achève son second mandat et ne souhaite pas se représenter. Son dernier combat ? La réhabilitation des Bernardins, une cité insalubre. Elle trouve en son chef de cabinet, Yazid (Reda Kateb), le complice parfait, connaissant le terrain comme sa poche puisqu’il en vient alors qu’elle est d’extraction bourgeoise.

Des motivations de l’engagement de Clémence Collombet, on ne saura rien, sinon qu’elle semble ne pas avoir abandonné certains de ses idéaux (qui ne se mêlent pas d’idéologie, dont il n’est ici nullement question). Femme énergique, stratège aguerrie, elle se trouve prise entre deux feux pour mener à bien le sauvetage des Bernardins. D’un côté, les habitants de la cité, pour la plupart propriétaires de leur appartement, qui n’a plus de valeur vu la décrépitude des lieux, et où se sont greffés des marchands de sommeil exploitant des migrants. Ces petits propriétaires ne croient plus en rien, et surtout pas à la parole de l’édile. De l’autre, la maire doit convaincre au-dessus d’elle, au cœur des instances de l’État, sans qui le budget nécessaire ne peut être réuni.

Les Promesses montre sans équivoque les limites du pouvoir d’un maire. Le plus grand atout de Clémence Collombet est sa force de conviction. Surtout vis-à-vis de son interlocuteur au sein de l’exécutif, le commissaire au Grand Paris, incarné par Laurent Poitrenaux. La mécanique politique, stratifiée, fonctionne aux jeux d’influence. Seulement, le plan de bataille de madame la maire se dérègle quand on lui fait miroiter la possibilité de devenir ministre – elle en aurait l’étoffe. C’est ainsi qu’en politique on est promu. Mais attention aux illusions ! Le mirage peut s’avérer dangereux, le chant des sirènes risque de lui faire perdre sa route. Les « promesses » du titre sont de tous ordres et, comme nous l’avons désormais intégré, elles n’engagent que celles et ceux qui les croient.

Thomas Kruithof, dont le premier film, La Mécanique de l’ombre (2016), plongeait dans le milieu de l’espionnage, a cru devoir tricoter un suspense dans la seconde partie des Promesses, à la limite de l’artifice de scénario. Mais celui-ci a le mérite de mettre en avant le dévouement du personnage de Yazid, dont la position reste modeste même s’il est « dir cab », et dont la loyauté envers Clémence repose sur le respect d’un engagement commun pour l’intérêt général.

Le premier long-métrage de Thomas Paulot, Municipale, présenté par l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) au dernier Festival de Cannes, est d’une tout autre nature. Même si, comme l’indique le titre, le cadre de l’action se situe au niveau d’une ville. Ce documentaire s’appuie sur une dose de fiction insufflée de manière singulière : le réalisateur, avec ses coauteurs, Ferdinand Flame et Milan Alfonsi, a engagé un comédien, Laurent Papot (1), pour qu’il se présente aux élections municipales de 2020 dans une petite ville des Ardennes : Revin. Le procédé peut paraître étrange, voire éthiquement douteux. À ceci près qu’il n’est pas dissimulé aux habitants. Tous sont informés de la démarche et des deux objectifs poursuivis. Non seulement un film est réalisé pendant la campagne, mais, si d’aventure il était élu, -Laurent Papot libérerait immédiatement son siège pour le mettre à la disposition de la population.

Ainsi, à partir de ces circonstances particulières qui l’amènent à intervenir sur la scène publique de cette commune – dont il est un élément extérieur puisque vivant à Paris –, Papot transforme sa candidature en vecteur de débats, de rencontres. Revin est une ville industriellement sinistrée, qui a perdu la moitié de ses habitants depuis une quarantaine d’années. Le niveau de pauvreté est important. En face du maire de droite, prêt à rempiler, plusieurs listes se sont constituées, où la gauche se présente divisée (air connu). Une fragmentation à laquelle s’ajoute une liste de gilets jaunes. Le grain de sable Laurent Papot vient perturber le train-train de la campagne, sans que personne puisse le soupçonner de soif de pouvoir ou de carriérisme.

Cet étrange candidat tient son QG dans un bar désaffecté, où se retrouvent pour discuter des déçus des partis, des jeunes qui n’ont jamais voté, des personnes éloignées de la politique. Ils parlent programme et horizontalité de l’exercice du pouvoir. « Sommes-nous prêts pour l’auto-gestion ? », demande une dame. La tête de liste des gilets jaunes se rapproche de Papot, tandis que celui-ci se fait des amis dans un autre café, plus périphérique car situé près de la gare, fréquenté par des Maghrébins.

Municipale est passionnant tant du point de vue du cinéma que de la politique. Jusqu’à quel point Laurent Papot interprète-t-il un rôle ? Il est manifeste qu’il transgresse son contrat initial – ce que bien sûr le cinéaste espérait. Il se prend au « jeu » et peu à peu s’insère dans la vie locale, tissant un réseau de sociabilité et d’amitiés. Quel que soit le sort de sa candidature, il a permis que des habitants expriment leur citoyenneté. Tandis qu’il traverse, quant à lui, une expérience forcément transformatrice. Une campagne électorale est rarement aussi marquante.

(1) Que l’on a vu par exemple dans Pour le réconfort, de Vincent Macaigne.

Cinéma
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