Ne pas ajouter la division à la division

Le paradoxe, c’est que la logique et la cohérence semblent désormais du côté de ceux qui refusent l’unité. Que cette réalité plaise ou non. Si le rassemblement avait dû se construire, c’était en avril dernier.

Denis Sieffert  • 12 janvier 2022
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Ne pas ajouter la division à la division
© Jeremie Lusseau / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La gauche va-t-elle décidément boire le calice jusqu’à la lie ? C’est ce qui semble se dessiner avec la candidature aujourd’hui probable de Christiane Taubira. Comble du paradoxe, c’est pour protester contre la pléthore de candidats que l’ancienne garde des Sceaux ajouterait son nom à une liste qu’elle juge déjà trop longue. Cherchez l’erreur ! Bien sûr, il lui faudra d’abord sortir victorieuse d’une vraie-fausse primaire dont elle risque d’être la principale candidate… 

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La principale ? Pas tout à fait, car Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot y seront bien engagés, mais « à l’insu de leur plein gré »… Quant à Anne Hidalgo, qui a d’abord rejeté cette compétition, avant de la rejoindre, et finalement d’y renoncer, elle y prendra part, malgré elle. Le pire, c’est que cette situation pour le moins confuse est partie d’une initiative pleine de bons sentiments. La jeune équipe qui a eu l’idée en octobre 2020 de cette primaire réunificatrice est évidemment estimable. Nous étions nombreux à suivre avec intérêt ses efforts. Beaucoup, parmi ceux qui l’ont soutenue, sont nos amis. Et que dire de Christiane Taubira, femme d’humanité et de culture, et qui eut le courage de quitter le gouvernement de François Hollande quand celui-ci se prononça pour la déchéance de nationalité ? Une référence. Mais l’entreprise paraît depuis un certain temps déjà désespérée.

Combien faudrait-il d’électrices et d’électeurs à cette primaire, entre le 27 et le 30 janvier, pour amener à résipiscence ceux qui ne veulent pas entendre parler de candidature unique ? Ils seront trop peu sans doute, et ce sera bien tard. Si elle ne parvient pas à ses fins, l’entreprise pourrait pourtant ne pas être sans conséquences. Imaginons – pure spéculation – que Christiane Taubira arrive en tête de la primaire, et décide de se maintenir. Sans réel programme autre que celui de tenir un discours unitaire devenu obsolète, elle serait tout au long de la campagne comme un vivant reproche, une sorte d’œil de Caïn qui n’en finirait pas de tarauder ses concurrents. Le débat sur l’unité ne finirait jamais, ni les règlements de comptes en recherche de coupables. Des courants de pensée qui ont vocation à voir grand et loin seraient pris dans une interminable guerre picrocholine. Pas une interview sans que l’affaire de la primaire occupe de longues minutes – c’est déjà le cas aujourd’hui. On en perdrait presque de vue le réchauffement climatique, la crise sanitaire, le pouvoir d’achat, et les bruits de bottes à la frontière ukrainienne. La gauche, les gauches, déjà confrontées à un contexte défavorable de prééminence des thèmes sécuritaires et identitaires, et aux entraves à l’organisation de grands meetings, n’ont pas besoin de ça. Le paradoxe, c’est que la logique et la cohérence semblent désormais du côté de ceux qui refusent l’unité. Que cette réalité plaise ou non. Si le rassemblement avait dû se construire, c’est au moment où Mélenchon a déclaré sa candidature. Ou lorsque Jadot a invité tous les protagonistes de la gauche à s’asseoir autour d’une table. C’était en avril dernier. La route du leader des Insoumis étant déjà tracée, la question qui se posait était celle d’un accord PS-EELV. On se souvient qu’après avoir effectué un pas de clerc, la direction du Parti socialiste avait rejeté cette hypothèse. Les logiques d’appareil s’étaient imposées. Il est vrai qu’avec les institutions actuelles, passer son tour à la présidentielle pose à toute formation politique une question existentielle. Ce sont désormais les sondages qui opéreront la sélection. En espérant que ça ne sera pas cette exténuante et très anti-démocratique course aux parrainages qui fait craindre le pire à Mélenchon.

Mais posons la question de l’unité en termes peut-être moins tactiques, moins pusillanimes. Elle parcourt toute l’histoire de la gauche, du Front populaire à l’ère Mitterrand. Pendant un siècle, les termes du débat n’ont guère changé. Il s’agissait de réunir les deux grandes forces structurantes issues du congrès de Tours, en 1920. Leur influence était telle que même lorsque l’alliance ne se faisait pas, la victoire n’était pas impossible. On invoque souvent ces temps-ci la victoire de Mitterrand en 1981. Certains d’ailleurs pour démontrer avec un peu de mauvaise foi que la gauche peut gagner, même divisée. C’est oublier que trois mois avant mai 1981, Mitterrand tutoyait les 25% dans les sondages, et Georges Marchais les 15%. A ce niveau, on pouvait se permettre la division… C’était, comme on dit, une autre époque. Avant la mondialisation libérale. Et avant des années de pouvoir social-démocrate qui ont déçu – c’est peu dire ! Il y avait alors un communisme municipal qui irriguait la culture populaire. Il y avait surtout un PS, parti attrape-tout, qui réalisait à lui seul une forme d’unité en son sein. L’unité, c’était lui. Aujourd’hui, il faut beaucoup plus. Rien n’est possible tant que le parti socialiste, héritier de Hollande et de Valls, n’a pas prononcé son acte de décès, pour entamer un difficile travail de reconstruction avec les autres forces de gauche. Il y a la place pour un « réformisme révolutionnaire », pour reprendre la célèbre formule de Jaurès, et intégrant pleinement la question écologique. Les dégâts du quinquennat Hollande sont immenses. C’est peut-être ce qui a été sous-estimé par les initiateurs de la primaire. Gageons que leur histoire ne s’arrêtera pas là, car ils ont exprimé une aspiration profonde.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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