Sellig, rehausseur de quotidien

Plutôt discret dans les médias, l’ancien cuistot régale son public avec des tranches de vie ordinaire. En apparence. Conjuguant l’absurde et une réalité augmentée par ses farces et attrapes.

Jean-Claude Renard  • 19 janvier 2022 abonné·es
Sellig, rehausseur de quotidien
© LECOEUVRE PHOTOTHEQUE / Collection ChristopheL via AFP

En bougre d’âne et d’andouille, Gilles Magnard a pris son temps avant de plonger dans une vocation. Après des études brillamment quelconques, à user des frocs en fond de classe, il est orienté en cuisine, à l’école hôtelière Rabelais, en région lyonnaise. « Au moins, je serai au chaud et je mangerai bien ! » se dit-il alors. Diplômes en poche, il passe, à l’âge de 20 ans, à l’épluche dans les bouchons lyonnais. Cuisine traditionnelle pur jus. Cervelle de canut, tablier de sapeur sauce gribiche, saucisson pistaché, patates soufflées, andouillette et tétines de vache persillées… Du consistant, avant de passer second de cuisine, deux années plus tard, dans une maison de retraite. Jusque-là, ça ne rigole guère aux fourneaux.

Pour se détendre, il tâte de la scène avec une association proposant aux jeunes pousses de présenter un sketch. Plus d’une décennie durant, il cumule casserole et humour. « Comme des mecs vont au foot après le boulot, moi j’allais faire des sketchs. » Avec déjà un nom de scène : Sellig, soit l’anagramme de Gilles. Repéré par Anne -Roumanoff dans un télé-crochet, il rend son tablier en 2000, bascule pleinement du côté des planches en guise de billot, encouragé par l’humoriste.

L’histoire commence ainsi, par une confiance en soi, une confiance en l’autre (et inversement). Il a pour lui son grand-père en modèle, intarissable conteur, dont le projet de vie était de rire de tout, même aux pires moments, une famille ouvrière communiste, un père plombier, une mère standardiste. Sellig va enchaîner les spectacles. Avec un timbre de voix singulier, son hypersensibilité, en jean et baskets ou tout de noir vêtu, fine boucle fixée à l’oreille gauche, avec des airs déjantés de Benoît Poelvoorde, au verbe hystérisé.

Et un credo obstiné : puiser dans le quotidien sa matière. Furieusement dansée. Forcément, le quotidien est extra-large. Tout y est, tout est bon. Comme dans le cochon d’un bouchon lyonnais. Encore faut-il savoir rôtir le phrasé. Deviser sur les banalités, flirter avec le pas drôle, « parce que c’est plus simple », courtiser les situations absurdes, celles qui dérangent, agacent, provoquent les perplexités. Sellig sait faire. Vieille habitude de faux cancre endurci, retors à la normalité, attaché à ses origines prolétaires et populaires.

Sellig, c’est du vécu et des vécus résumés en quelques strophes fulgurantes. Où le rire décanille d’un nulle part ordinaire pour arriver à bon port. Pierre Desproges ne faisait pas autrement avec une mémorable histoire de cintre coincé dans son armoire. À chacun de s’y reconnaître, ou pas. Sur l’autoroute, au départ d’un train en gare une veille de Noël, sur le casse-tête du tri sélectif, sur les colonies de vacances, les jeux de société, les dimanches…

Sellig exagère (mais on n’exagère jamais assez dans ce métier), grossit le trait. Entre deux phrases bien tournées, il additionne les onomatopées, les borborygmes. En apparence, ce n’est pas -politique. Ça le devient quand il cingle, en casseroleur de formation, les multinationales de la bouffe, les mangeoires façon Flunch, convoquant dans un même sketch hilarant les slogans des publicitaires, La Laitière, Pépito, Groupama et Cerise, « vautrée comme un flan Alsa dans un transat », Franck -Provost, Monsieur Propre, le Prince de Lu, Justin Bridou, comme autant de personnages qui font récit.

Sur la politique pure, il préfère la défiance. « J’ai l’impression d’être au bord de la route, je les regarde passer, ils ne voient que leurs intérêts. J’ai le sentiment d’être ignoré. Plus le temps passe, plus on nous ignore. » Voilà plus de vingt ans que Sellig remplit les salles sur ce même terrain de jeu du quotidien. Succès à la clé. Et sans vraiment occuper les médias. « J’étais, au début, confie-t-il, une bête sauvage qu’on n’approche pas trop. J’ai pris aussi du recul parce que je n’y ai pas trouvé mon compte et n’y suis pas à l’aise. » Rien ne vaut les planches pour saisir son public et l’air du temps.

Sellig, en tournée toute l’année, www.sellig.com

Culture
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