Services publics : Paroles d’agents et d’usagers

Le collectif Nos services publics a mené en 2021 une grande enquête sur la perte de sens dans le travail des agents des services publics. Morceaux choisis.

Erwan Manac'h  • 23 février 2022
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Services publics : Paroles d’agents et d’usagers
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RER B, des conditions de transport dégradées

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« Je prends le RER B depuis les années 1970, j’en ai assuré la maintenance dans les années 1980 et je l’ai conduit de 1998 à 2019. Je ne peux que constater au fil du temps une dégradation des conditions de transport pour les usagers-voyageurs. Comment en est-on arrivé là ? Mauvaise gestion, mauvaise anticipation de la demande, politique uniquement curative et non préventive ? C’est un tout qui fait ce que nous vivons aujourd’hui, agents et usagers. Un million de voyageurs par jour ! »

Laurent

Appeler Pôle Emploi, un boulot en soi

« Inscrite à Pôle emploi, j’ai monté une autoentreprise, que j’ai fermée six mois plus tard compte tenu des (énormes) difficultés à obtenir tous les mois mon indemnité complémentaire de la part de Pôle emploi. Cela m’a mise en grande difficulté financière ! Depuis, mes paiements sont tous les mois bloqués.

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Finalement, mon vrai boulot est devenu d’appeler 3949, la hotline de Pôle emploi, plusieurs heures par jour et plusieurs jours par mois pour démêler ce que les agents ne comprennent pas eux-mêmes. Parfois, mes doigts se trompent et tapent 3919, le numéro des femmes victimes de violences. Et j’ai souvent envie de pleurer. »

Alice

Quand des élus condamnent le train

« Gare de Paimbœuf, terminus ! Les trafics ont été suspendus en 1998 sur cette ligne de 27 km reliant Paimbœuf à Saint-Hilaire-de-Chaléons, en Loire-Atlantique. Les collectivités locales et des collectifs d’usagers ont d’abord réclamé sa réouverture, refusée par la région des Pays de la Loire en 2013, puis les élus ont décidé de la remplacer par une voie verte, condamnant ainsi toute possibilité de retour du train. La ligne a été fermée administrativement le 30 novembre, obligeant l’association Fer’ Retz à engager des recours et à poursuivre la mobilisation avec une pétition, pour la réouverture aux trafics voyageurs et marchandise. »

Association Fer’ Retz

20 minutes de marche jusqu’à La Poste

« La poste la plus près de chez moi a fermé à la fin de l’année 2021, m’obligeant à aller à la poste centrale, beaucoup plus éloignée, lorsqu’un colis n’a pas été déposé dans ma boîte aux lettres (alors qu’il aurait dû). J’ai 90 ans et il me faut désormais 15 à 20 minutes de marche, avec ma canne, pour m’y rendre. »

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Renée

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Soignants en souffrance aux urgences

« Scène quotidienne aux urgences du CHU de Rennes. Depuis cet été, l’affluence a grimpé à 200 personnes par jour, contre 100 à 150 habituellement, parce que les urgences des petits hôpitaux ferment de plus en plus souvent la nuit, faute de personnel, et que les fermetures de lits se poursuivent en psychiatrie. Je croise régulièrement des collègues en pleurs, même celles et ceux dont je ne soupçonnais pas qu’ils pouvaient aller mal, parce qu’ils souffrent en silence. Ce sont les soignants qui portent la honte et la responsabilité de ce qui se passe, alors qu’on ne leur donne pas les moyens. Ils rentrent chez eux avec le poids d’avoir mal fait leur travail, d’être passé d’une personne à l’autre sans prendre le temps de les rassurer. Soigner, ce n’est pas une suite d’actes médicaux à la chaîne. »

Une soignante

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En CDD depuis neuf ans dans la fonction publique

« J’ai 59 ans et je travaille en CDD dans un centre social, depuis neuf ans. C’est légal, dans la fonction publique, contrairement au privé. Évidemment, je n’ai pas touché un centime d’augmentation depuis mon embauche. Je reste au Smic, comme la plupart de mes collègues, eux aussi en grande partie contractuels. Et la direction peut mettre fin à notre contrat sans indemnité à tout moment, par exemple lorsque nous approchons de la retraite ou que l’on tombe malade ou enceinte. Moi, j’ai été poussée au burn-out après une longue absence pour soigner un cancer, envoyée dans un service que je ne connaissais pas, sans aucune formation. Le mois dernier, on m’a dit que dans six mois, bye bye ! Mon CDD ne sera pas renouvelé. Comment de telles pratiques sont-elles possibles dans le public ? »

Une employée municipale

Profs absents, enfants punis

« Entre septembre et février, certains enfants de l’école maternelle Liberté à Pantin (Seine-Saint-Denis) ont eu classe à mi-temps faute de remplaçant pour assurer la classe. À force d’être trimballés, un jour à l’école, un jour chez eux, ils ne savent plus faire la différence entre les jours d’école et les jours de repos. En voyant leurs camarades jouer dans la cour de l’école, par la fenêtre, certains enfants se demandent même s’ils ne sont pas punis. »

Un parent

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Se reposer moins pour travailler… Bien

« Samedi matin, mon seul moment de libre dans une semaine bien remplie. Me voilà obligé de me rendre au tribunal pour préparer ma prochaine audience pénale et affronter cette pile de dossiers. Obligé de sacrifier des moments de repos pour tenter de préserver une certaine qualité de la justice. » Un magistrat

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Des toilettes repoussantes

« Ce sont les toilettes publiques pour hommes du tribunal de Bobigny. Il y en a d’autres, moins grandes, qui sont régulièrement fermées du fait de problèmes. L’endroit est glauque, vraiment pas accueillant, sans compter une odeur difficilement soutenable. C’est à mon sens un signe de maltraitance des usagers. Et ce d’autant plus que, lorsque les usagers sont convoqués à une audience, civile ou pénale, ils le sont pour le début de l’audience (9 heures, 9 h 30, 13 heures…) sans savoir à quelle heure précisément leur dossier sera évoqué. Les usagers et le public peuvent ainsi passer de nombreuses heures au sein du tribunal. Un ou plusieurs passages aux toilettes sont par conséquent incontournables. À noter que, si les toilettes réservées au personnel du tribunal ne sont pas dans un état aussi déplorable, nous sommes loin de ce que l’on pourrait attendre en 2022… et le lavage des mains se fait uniquement à l’eau froide pour tout le monde, personnels et usagers ! »

Un·e greffier·e.

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Renouveler son titre de séjour, le parcours du combattant {: class= »ui-droppable » }

« Devant les préfectures, les files d’attente des étrangers en quête d’un titre de séjour ont disparu. En quelques années, l’Etat a rendu invisible celles et ceux qui, vivant, travaillant, créant des liens depuis des années en France, veulent obtenir un titre de séjour pour être « en règle ». En Seine-Saint-Denis comme dans de nombreux départements, la pandémie a servi d’accélérateur à la dématérialisation du service public. Il est désormais impossible de prendre rendez-vous en physique, il faut demander un rendez-vous en ligne.
Or, le site affiche systématiquement qu’aucun rendez-vous n’est disponible, ou « Cette page n’est pas disponible pour le moment ! Elle sera très prochainement remise en ligne ». Chaque année, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui se voient refuser l’accès au droit le plus basique : déposer un dossier de demande de renouvellement de titre de séjour ou une première demande de titre. Les préfectures mettent en avant des problèmes de logiciel, les trafics de rendez-vous, pour expliquer ce blocage. Les associations, syndicats, avocat·es et personnes concernées ne sont pas dupes : le problème se situe bien au niveau du nombre de rendez-vous ouvert et de la dématérialisation de toutes les procédures. Le trafic de rendez-vous, réel (un rendez-vous pouvant valoir plus de 500 euros sur internet), est une simple conséquence d’un système inique organisé par les services de l’Etat.
Face à cette situation ubuesque, la seule solution légale à la disposition des personnes souhaitant obtenir un rendez-vous est d’attaquer la préfecture en déposant un « référé mesure utile » au Tribunal Administratif. En 2021, 1700 référés ont été déposés pour ce motif pour le seul TA de Montreuil. Depuis deux ans, des associations, syndicats, avocat·es et élu·es associé·es se sont uni·es au sein du collectif régional _Bouge ta préfecture_ pour faire changer les choses, en choisissant de mener de front des dépôts collectifs de référés et des mobilisations pour interpeller les préfectures. En Seine-Saint-Denis, la mobilisation prend appui sur le Collectif du Livre Noir, existant depuis 12 ans. Ces organisations se sont mobilisées le mercredi 16 février 2022, à l’occasion du huitième dépôt collectif, pour une manifestation régionale vers la préfecture de Bobigny. »

#BougeTaPref

Témoignage :

Le titre de séjour de M. K. arrive à échéance en avril 2021. Depuis le début du mois de février, il se connecte sur le site de la préfecture pour prendre un rendez-vous, pour le renouvellement de son titre. Aucune plage de rendez-vous n’est jamais disponible. Il nous demande de l’aide. Il se connecte chaque dimanche à minuit, car les plages de rendez-vous ouvrent dans la nuit du dimanche au lundi et sont prises d’assaut en 15 minutes. Le veilleur de nuit de son foyer essaie aussi de son côté, en vain. Car, parfois, les rendez-vous ouvrent à 1 heure, parfois plus tard, parfois aucun rendez-vous n’est ouvert.

C’est la panique. Nous sommes début avril, M. K. va perdre son emploi s’il n’obtient pas son renouvellement de titre à temps. Son employeur lui accorde quinze jours. J’envoie des mails, en désespoir de cause, à une dizaine d’adresses récoltées un peu au hasard. Je leur explique le blocage et l’urgence de cette situation. Par chance, une agente m’appelle et accepte d’organiser une rencontre auprès d’un guichet entre deux rendez-vous. Elle insiste : nous devons rester discrets. L’agent qui reçoit M. K. et elle-même passent outre des consignes très strictes et prennent un risque : aucun rendez-vous ne devrait être accordé en dehors de ceux qui ouvrent en ligne. Dans la nuit du dimanche au lundi…

Une éducatrice spécialisée.

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Les finances publiques en Aveyron…

Depuis plus de 15 ans, la fonction publique d’État subit des suppressions massives d’emplois, notamment au sein des ministères économiques et financiers, qui paient un lourd tribut (près de 40 000 suppressions depuis 2009), actant de fait le recul des services publics sur le territoire.

Sous couvert d’un meilleur service rendu à l’usager, les pouvoirs publics ont mis en place un nouveau réseau de proximité aux finances publiques (sur 3 ans avec date d’achèvement au 01/01/2022), qui se traduit concrètement par la fermeture des trésoreries de proximité restantes ainsi que par la réduction des implantations des services fiscaux. Concrètement :

En 1999, on dénombrait 36 trésoreries dans l’Aveyron puis 25 en 2009 (année de la fusion impôts/trésor dans le département) pour arriver au 01/01/2022 à 4 services de gestion comptable, Paierie départementale, Trésorerie Principale et Trésorerie hôpital (Rodez), Trésorerie hôpital (Millau/Saint-Affrique) et 10 conseillers aux décideurs locaux. Avec le nouveau réseau de proximité, on est passé de 6 SIE et SIP (services des impôts des entreprises et services des impôts des particuliers) à 2 ; en outre, on est également passé de 3 centre des impôts fonciers ou services du cadastre à 1 seul.

Au-delà de la fermeture de nombreux services au public aveyronnais, on assiste à une forte réduction des plages horaires d’accueil physique, soit 3 demi-journées sans rendez-vous et 2 demi-journées sur rendez-vous alors qu’on était proche d’un accueil de 5 jours il n’y a pas si longtemps et sans rendez-vous.

Pour faire « passer » la mise en place de ce nouveau réseau de proximité (NRP) aux élus locaux, le gouvernement fait la promotion des « Maisons France Services » qui sont cantonnées à un accueil très généraliste et basique sur de multiples sujets (impôts, CAF, MSA, état civil…) et qui ne peuvent en aucun cas se substituer à la technicité des collègues des finances publiques recrutés par voie de concours.

Au final, L’Aveyron a perdu depuis 2009 l’équivalent de 140 emplois (passant de 520 à 380 agents), réduction à pondérer par la création au 01/09/2022 à Décazeville d’un centre de contact à destination des professionnels (31 personnes qui feront exclusivement de l’accueil téléphonique pour les professionnels), le nombre d’implantations des services ayant fortement reculé également (d’un peu plus de 50 on se retrouve à une quinzaine aujourd’hui).

Pour l’Occitanie, sur la même période c’est 2053 emplois qui ont été supprimés.

Marc

La Médiathèque départementale

Une des seules médiathèques qui fonctionnait avec des bibliobus qui passaient une fois par mois dans la majorité des communes où il n’y avait pas de bibliothèque. Le covid et la CeA (qui a entrainé la fusion des 2 médiathèques départementales) ont provoqué la disparition des bibliobus. Tant pis pour toutes les communes où il n’y a pas de bibliothèques, tant pis pour la vallée de Masevaux où il n’y a aucun équipement culturel. Les lecteurs peuvent encore réserver des ouvrages, mais seulement sur internet. Tant pis pour ceux qui ne sont pas équipés.

Geneviève

Économie Société
Publié dans le dossier
Services publics : Le grand abandon
Temps de lecture : 13 minutes
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