Bruno Latour : « La guerre en Ukraine rapproche les affects politique et écologique »
Emmanuel Macron ne cesse de pratiquer l’autorité jacobine envers les Corses et leurs élus. Au risque d’un retour à la violence.
dans l’hebdo N° 1698 Acheter ce numéro

Sur sa table de travail, Climat : dernier avertissement, le nouvel essai du journaliste écologiste britannique Mark Lynas, et le rapport d’activité final des ateliers « Où atterrir », projet pilote qu’il a animé pendant deux ans pour permettre aux participant·es de s’outiller collectivement pour s’orienter dans le marasme actuel. Bruno Latour, 74 ans, creuse depuis un quart de siècle le sillon d’une déconstruction de la modernité développementiste et d’une compréhension profonde de la crise écologique globale, sur laquelle il porte une analyse parmi les plus aiguisées des sciences sociales, saluée dans le monde par de nombreuses distinctions.
Nous avions pris rendez-vous avec lui pour un entretien centré sur son essai Mémo sur la nouvelle classe écologique (lire encadré). Entre-temps, Vladimir Poutine a lancé ses chars en Ukraine, une guerre dont les conséquences contribuent puissamment à activer des affects qui nous mettent en action face à la crise climatique, en écho direct avec la question que pose son ouvrage : à quelles conditions l’écologie pourrait-elle organiser la politique autour d’elle ?
L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a soudainement rendu très palpable notre dépendance aux énergies fossiles. La guerre menée par Vladimir Poutine serait-elle en train d’accélérer une prise de conscience des grandes questions écologiques par le public ?
Bruno Latour : L’un des grands enjeux écologiques planétaires, c’est l’énergie. Et la guerre en Ukraine focalise l’attention sur cette question. D’un seul coup, la perspective de se passer du gaz russe devient pensable alors qu’elle était impensable auparavant.
L’opinion associe une réaction qui se pose en termes de sacrifice pour la cause écologique au soutien à l’Ukraine, à la défense de l’autonomie européenne, à la sécurité nationale et même, on pourrait dire, à un certain patriotisme européen. Alors que tout le monde sait comment se comporter vis-à-vis d’un conflit armé, l’état de guerre larvée provoqué par le dérèglement climatique, l’extinction accélérée des espèces, les catastrophes naturelles, etc. – que j’appelle depuis longtemps le « nouveau régime climatique » – n’a pas entraîné de réactions aussi passionnées ni aussi rapides. Avec la guerre en Ukraine, on voit se rejoindre l’affect politique et l’affect écologique.
Pour combien de temps ?
Nous ne savons évidemment pas ce qu’il va en sortir. En parallèle avec cet esprit de sacrifice, on entend monter une volonté d’aller chercher le pétrole quoi qu’il en coûte partout où il se trouve. Et repartir pour un tour comme après les chocs pétroliers de 1973 et 1974 ? Le gouvernement s’était alors rallié à la réduction du gaspillage, mais on a tout oublié en France dès lors que les prix sont repartis à la baisse. La période qui a suivi a même été celle de la grande accélération de l’usage du pétrole et du gaz.
C’est un vécu très important que d’expérimenter, lors des crises, la
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