Les impasses du Kremlin

Le déclenchement de la guerre par le dictateur russe commence à produire les effets qu’il redoutait et qui l’ont conduit à envahir le territoire ukrainien.

Antonin Amado  • 2 mars 2022 abonné·es
Les impasses du Kremlin
© Kirill KUDRYAVTSEV/AFP

Alors que le fracas des armes s’intensifie, les impasses stratégiques du pouvoir russe sont progressivement mises au jour. Et s’il est trop tôt pour pronostiquer l’issue d’un conflit que peu imaginaient possible à la veille du début des hostilités, reste une certitude : la Russie a considérablement réduit ses options et s’enfonce simultanément dans plusieurs impasses.

D’un point de vue militaire d’abord. Pierre Servent, spécialiste des questions de défense et l’un des seuls à avoir prédit l’invasion, estimait le 1er mars que « la boulette de viande ukrainienne est trop grosse et qu’elle reste dans la gorge » de Vladimir Poutine. Pour plusieurs spécialistes militaires, le maître du Kremlin a surestimé ses propres capacités opérationnelles et grandement sous-estimé la résistance ukrainienne. D’abord celle de son armée, qui s’est largement professionnalisée et équipée depuis sa débâcle dans le Donbass et dans la péninsule de Crimée en 2014. Celle, ensuite, de sa population. Les milices citoyennes créées en 2018 jouent leur rôle. Et une frange toujours plus fournie de la population les rejoint en prenant les armes, préparant à grands renforts de cocktails Molotov une véritable guérilla urbaine qu’il sera particulièrement difficile de réduire. À l’international, le conflit a davantage contribué à une émergence militaire de l’Union européenne que tout autre événement depuis sa création. Ses pays membres ont ainsi décidé de livrer en masse des armes à Kyiv. La Pologne, la Bulgarie et la Slovaquie ont même jugé indispensable le prêt de 70 avions de chasse à l’armée ukrainienne. Sur le volet militaire, la situation a également conduit l’Allemagne à relever drastiquement ses budgets militaires. Une première depuis la fin du second conflit mondial.

La guerre a solidifié le sentiment d’unité nationale en Ukraine.

Sur le plan géopolitique, Moscou se retrouve particulièrement isolé. À l’image de la Géorgie, déjà amputé de 20 % de son territoire par la Russie en 2008, l’Ukraine s’inscrit désormais dans une logique « euro-atlantique ». Il s’agit pour elle d’intégrer à la fois l’Otan et l’Union européenne. Ces candidatures étaient jusqu’à présent regardées avec beaucoup de prudence par les deux organisations, bien conscientes de la susceptibilité russe vis-à-vis des anciens pays satellites de l’URSS, comme le rappelle Alexandra Goujon, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Bourgogne. Paradoxe, c’est le déclenchement du conflit qui les pousse aujourd’hui à reconsidérer leurs positions. La guerre a également solidifié le sentiment d’unité nationale en Ukraine, y compris dans les régions russophones. Des vidéos circulent ainsi sur les réseaux sociaux. On y voit des soldats russes, occupant la ville de Berdiansk dans le sud du pays, confrontés à une foule en colère et leur demandant, dans leur langue maternelle, de rentrer chez eux. Le pays était autrement plus divisé en 2014 lorsqu’avait éclaté le mouvement de contestation ayant conduit au départ de Viktor Ianoukovitch du pouvoir. Le mythe, poussé par le Kremlin, d’une population ukrainienne n’aspirant qu’à rejoindre le giron russe a vécu.

Le coût économique sera lui aussi particulièrement rude à encaisser. Si les pays membres de l’UE et ses alliés – États-Unis et Canada en tête – ont mis quelques jours à s’aligner, les sanctions décrétées contre le régime pourraient finalement être efficaces. Si Moscou, déjà sanctionné il y a huit ans, a constitué des réserves de devises et adapté son agriculture, il n’a probablement pas anticipé la dureté des mesures de rétorsions, ni le nombre de pays prêts à les appliquer. Même la Suisse, initialement réticente, s’est finalement résolue à établir cette espèce de blocus inédit. Ainsi, outre la déconnexion du réseau bancaire Swift des établissements russes, le gel des centaines de milliards d’actifs de la banque centrale à l’étranger conduira à une inflation brutale de sa monnaie. Concrètement, c’est le pouvoir d’achat de la population qui s’en ressentira violemment. Il est à relever aussi que les États-Unis ont décidé de ne plus fournir de puces électroniques au pays. Airbus et Boeing ont également annoncé ne plus livrer de pièces détachées à des compagnies déjà interdites de survol de presque l’ensemble du territoire européen. Ce qui devrait clouer au sol leurs avions d’ici quelques semaines. Plus de 500 oligarques et personnalités ont enfin vu leurs biens gelés. Un train de mesures visant à rendre insoutenable le coût de la guerre pour Moscou.

Enfin, l’influence russe patiemment tissée par Vladimir Poutine depuis vingt ans est battue en brèche comme jamais jusqu’à présent. Les médias Sputnik et Russia Today, véritables chaînes de propagande, n’ont plus droit de cité dans l’ensemble du monde occidental. Les représentants politiques locaux favorables au Kremlin sont contraints à d’impossibles contorsions pour justifier leur soutien passé. Enfin, les sportifs et les musiciens russes sont partout exclus et ostracisés. Ces mesures seront-elles suffisantes pour mettre fin au combat ? Malgré la détermination affichée par les soutiens à l’Ukraine, seul Vladimir Poutine détient la réponse à cette question.

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