Aurélie Trouvé : « Les législatives ? Une chance de se sortir du choix du second tour »

Aurélie Trouvé estime que la gauche peut devenir majoritaire à l’Assemblée nationale. À condition de rassembler dans le respect les forces écologiques, populaires, sociales…

Lucas Sarafian  • 20 avril 2022 abonné·es
Aurélie Trouvé : « Les législatives ? Une chance de se sortir du choix du second tour »
Le score de l’Union populaire le 10 avril traduit un désir de rupture avec le système au pouvoir.
© Antoine Mermet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Aurélie Trouvé se désespère de l’affiche du second tour de la présidentielle, qui oppose « l’extrême marché » à « l’extrême haine ». Mais, même si le candidat de La France insoumise a de peu raté le coche, elle estime que la gauche peut encore l’emporter dès les législatives, les 12 et 19 juin prochains. Selon l’ex-porte-parole d’Attac et actuelle présidente du parlement de l’Union populaire, qui réunit des personnalités du monde syndical, associatif et culturel autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, les bons scores du troisième homme de cette présidentielle portent en eux deux enseignements : les électeurs ont choisi une gauche « de rupture avec le système », qui serait en mesure de devenir majoritaire à l’Assemblée nationale. À condition de créer une alliance entre les différents partis pour cette prochaine échéance électorale. Mais pour être unis, encore faut-il s’entendre.

Les Français sont désormais confrontés au duel Macron-Le Pen. Et la tentation du chaos est bien présente parmi les électeurs pour qui Emmanuel Macron est un repoussoir, au même titre que Marine Le Pen. Trouvez-vous cette réaction -légitime ?

Aurélie Trouvé : Je la comprends évidemment. Pour ceux qui ont mis un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l’urne le 10 avril, il y a énormément de déception car on a manqué de peu d’accéder au second tour. Et tous les Français de gauche se retrouvent aujourd’hui face à une triste alternative : l’extrême marché ou l’extrême haine. L’extrême droite ou celui qui a participé à sa montée. Pendant cinq ans, les musulmans ont été stigmatisés, des lois sécuritaires sont passées, nous avons subi une forte répression des mouvements sociaux, sans parler des attaques contre les services publics ni de l’aggravation des tensions sociales. Emmanuel Macron porte une très forte responsabilité dans la réussite électorale de l’extrême droite. Mais renvoyer dos à dos le président sortant et la candidate du Rassemblement national est, à mon sens, une méprise. Marine Le Pen n’est pas Emmanuel Macron. Elle est encore pire. Au-delà d’une politique antisociale, elle est porteuse d’une politique raciste qui remet en cause l’État de droit. Si elle est élue, il y a le risque de subir, en France, les expériences que nous observons à l’étranger, là où les démocraties sont attaquées : Orban en Hongrie, Trump aux États-Unis ou Bolsonaro au Brésil.

Que ferez-vous le 24 avril ?

En tant que présidente du parlement de l’Union populaire, je ne donnerai pas de consigne de vote. Le mot d’ordre de l’Union populaire, c’est : « Pas une voix pour Marine Le Pen ». Pour les électeurs de gauche, l’extrême droite ne peut pas être une option, quelle qu’en soit la raison.

Le programme de L’Avenir en commun doit être le centre de gravité de la future unité.

Le 10 avril, Jean-Luc Mélenchon n’accède pas au second tour, mais La France insoumise, à travers l’Union populaire, est désormais hégémonique à gauche, et de loin. Quelle responsabilité portez-vous désormais ?

Les résultats du premier tour nous apprennent une chose : La France insoumise est désormais le barycentre du paysage à gauche. Ce vote montre un choix politique clair. La gauche actuelle – mais aussi celle de demain – doit assumer une bifurcation écologique, défendre la justice sociale et proposer une refondation démocratique. À nous désormais de porter cette ligne de rupture avec le système au pouvoir et de construire une réelle alternative à la droite et à l’extrême droite.

Dans votre livre Le Bloc arc-en-ciel, vous pointez un paradoxe : les mouvements sociaux sont forts, mais il n’existe pas de débouché politique à gauche. Après la campagne que l’on vient de vivre, -observez-vous une évolution sur ce plan ?

L’Union populaire est une traduction électorale de ce que portent les luttes. Elle a construit son programme à partir d’elles, en puisant dans les revendications des associations, des syndicats et des mouvements sociaux. Lorsque j’étais encore porte-parole d’Attac, j’ai été auditionnée dans le cadre de son élaboration. C’est donc un rassemblement d’idées : le vert des luttes écologistes, le jaune – en référence aux gilets jaunes – des insurrections populaires et des aspirations démocratiques, le rouge des mouvements syndicalistes, le violet des luttes féministes et le multicolore des mobilisations antiracistes et LGBTQ+.

Le parlement de l’Union populaire réunit autour de Jean-Luc Mélenchon des intellectuels, des artistes, mais aussi des meneurs de luttes comme Rachel Kéké, qui a été l’une des figures de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles en 2019, ou Anthony Smith, un inspecteur du travail suspendu pour avoir réclamé qu’une société d’aide à domicile fournisse des masques à ses salariés en avril 2020, en plein confinement.

Nous avons su par ailleurs rassembler les quartiers populaires, la jeunesse et la France qui s’est mobilisée pendant ce quinquennat.

Quelles seraient les conditions pour que la gauche se présente unie aux prochaines élections législatives ?

D’abord, l’ambition. Celle de vouloir être majoritaire à l’Assemblée nationale pour imposer un gouvernement de gauche à celle ou celui qui sera élu le 24 avril. Ces législatives sont une chance pour les Français de se sortir du choix du second tour entre l’extrême libéralisme et l’extrême droite. Pour la gauche, c’est un troisième tour dans moins de deux mois. Il est possible d’être majoritaire. Et dans ce cas, tout pourra changer.

Ensuite, la ligne programmatique. En regardant les résultats du 10 avril, la colonne vertébrale doit être, en toute logique, celle de L’Avenir en commun porté par Jean-Luc Mélenchon. Ce qui n’empêche pas les autres forces de gauche, avec qui nous partageons des orientations communes, de défendre leurs propositions, car il y a des désaccords de fond avec certains partis. Mais le programme que nous avons doit être le centre de gravité de cette future unité. Il contient certaines composantes essentielles : la retraite à 60 ans à taux plein, la planification écologique, le contrôle des prix des produits alimentaires et énergétiques, par exemple.

La transition sociale, écologique et démocratique sera au cœur de notre proposition.

Nous tenons à cette ligne de rupture écologiste, sociale et démocratique qui a été choisie dans les urnes. Et nous ne voulons pas de compromis sur ce point. Si nous arrivons à imposer un gouvernement de gauche, nous nous tiendrons au programme et ne reculerons pas devant les obstacles. Il ne faut surtout pas revenir au quinquennat de François Hollande et à son lot de fausses promesses.

L’union se fera donc sans les socialistes…

Nous avons tendu la main au Parti communiste, à Europe Écologie-Les Verts et au Nouveau Parti anticapitaliste dans le but de créer un accord pour former un intergroupe à l’Assemblée nationale qui puisse être majoritaire et imposer un gouvernement de gauche populaire et écologiste. Le principe d’une transition sociale, écologique et démocratique, qui exige notamment un certain nombre de ruptures institutionnelles, sera au cœur de notre proposition. Il paraît aujourd’hui très difficile de gouverner sur cette base avec un parti comme le PS, qui se préoccupe avant tout de modérer les excès trop voyants du capitalisme tout en restant animé par des figures politiques fières de l’héritage de François Hollande. Nous devons être cohérents et sommes redevables de ce programme que nous avons proposé aux électeurs.

Par ailleurs, Carole Delga, la présidente socialiste de la région Occitanie, a fermé la porte à toute discussion le 10 avril au soir [« La différence entre les socialistes et Jean-Luc Mélenchon, c’est l’attachement à la République », a-t-elle affirmé sur France 2– NDLR]. L’autre condition de cette union doit être le respect. La violence des attaques contre l’Union populaire et son candidat a laissé beaucoup de marques. Aujourd’hui, il faut réussir à passer au-delà et rétablir des relations saines.

Attendez-vous quelque chose d’Emmanuel Macron en amont du second tour ?

Emmanuel Macron est un grand comédien ; il est actuellement en plein jeu pour essayer de récupérer les électeurs de gauche à coups de pirouettes. Et notamment sur le sujet des retraites, en évoquant l’idée d’une concession sur l’âge de départ sans abandonner sa réforme. Mais il ne berne personne. Je n’oublie pas qu’il représente une politique de violence sociale effrénée et d’étouffement démocratique. Il faut regarder son projet en face et les cinq ans qu’il laisse derrière lui : sa pierre angulaire, c’est la destruction des droits sociaux et des services publics. Il reste le président des riches. Lui aussi est à combattre. Je n’en attends plus rien.

Depuis l’élection présidentielle de Jacques Chirac en 2002, le mythe du « troisième tour social » s’est imposé. A-t-il encore une signification aujourd’hui ?

La transformation de la société a deux bras : celui des mouvements sociaux et celui de toutes les forces politiques de gauche qui tentent de conquérir les institutions et de changer le système. J’espère fermement que les colères exprimées dans la rue ne cesseront pas au lendemain du second tour, quelle qu’en soit l’issue. Il y a un profond désir de changement. Je me suis engagée pendant vingt ans dans ces mouvements sociaux et je les pense toujours aussi essentiels pour transformer la société. J’ai maintenant à cœur de traduire ces aspirations et de construire électoralement ce pôle populaire pour les prochains scrutins. À commencer par les législatives, qui vont arriver très vite. Elles nous donnent une chance de transformer l’immense espoir soulevé pendant cette présidentielle en une victoire face à la droite et à l’extrême droite.

Aurélie Trouvé Présidente du parlement de l’Union populaire.

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