En Russie, « on essaie d’éviter de penser à la signification concrète de la guerre »

La sociologue Karine Clément, spécialiste des mobilisations collectives, analyse l’instrumentalisation médiatique à laquelle la population russe est soumise sans en être forcément dupe.

Pauline Gensel  • 13 avril 2022 abonné·es
En Russie, « on essaie d’éviter de penser à la signification concrète de la guerre »
Dans un magasin de Moscou, des tee-shirts barrés d’un Z, symbole du soutien à l’opération militaire en Ukraine.
© Alexander NEMENOV / AFP

Chercheuse associée à l’EHESS et au CNRS, Karine Clément est sociologue et spécialiste des mobilisations collectives. En 1994, elle part en Russie pour écrire sa thèse sur le mouvement ouvrier russe et vit là-bas de 1996 à 2018. Elle est aujourd’hui interdite d’entrée sur le territoire mais conserve de nombreux liens avec le pays qu’elle a étudié pendant plus de vingt ans. Six semaines après le début de la guerre en Ukraine, les sondages d’opinion indiquent que 83 % des Russes approuvent les actions de leur président, Vladimir Poutine. La sociologue invite à relativiser les conclusions de ces enquêtes et parle d’un peuple russe fragmenté, en proie au plus grand désarroi.

Comment résumeriez-vous l’état actuel de l’opinion en Russie ?

Karine Clément : On parle beaucoup des sondages d’opinion actuellement. Certains indiquent que 80 % des Russes approuvent les actions menées par Vladimir Poutine ; d’autres, qui me semblent un peu mieux informés, parlent de 60 %. En vérité, ils nous apportent peu d’informations sur l’état réel de l’opinion publique, ils ne mesurent pas la véritable profondeur des points de vue dans la population. Les Russes se soumettent bien souvent à un certain conformisme : lorsqu’ils répondent à un sondage, ils répètent ce qu’ils ont entendu aux informations et ce qu’ils imaginent que la majorité de la population pense. En temps de guerre, c’est encore pire puisque, avec la censure, la majorité des personnes contactées refusent de répondre ou

Envie de terminer cet article ? Nous vous l’offrons !

Il vous suffit de vous inscrire à notre newsletter hebdomadaire :

Vous préférez nous soutenir directement ?
Déjà abonné ?
(mot de passe oublié ?)
Monde
Temps de lecture : 9 minutes

Pour aller plus loin…

Dans les décombres, la vie quand même
Reportage • 22 février 2023 abonné·es

Dans les décombres, la vie quand même

La région de Kyiv vit toujours au rythme des alarmes antiaériennes. Si, dans la capitale, le quotidien a repris des couleurs, les villes martyres d’Irpin et de Boutcha cohabitent avec leurs fantômes.
Par Hugo Lautissier
« Ce qui m’impressionne le plus, c’est la résilience de la population ukrainienne »
Entretien • 21 février 2023 abonné·es

« Ce qui m’impressionne le plus, c’est la résilience de la population ukrainienne »

La sociologue Ioulia Shukan évoque la capacité de résistance de l’Ukraine, la solidarité de sa population et son attachement à l’État social. Et parle de sa grande difficulté personnelle à poursuivre un travail de terrain.
Par Patrick Piro
Jeunes de Gaza : résister par l’art et le sport
Palestine • 15 février 2023 abonné·es

Jeunes de Gaza : résister par l’art et le sport

Depuis quinze ans, les Palestiniens de l’enclave côtière vivent sous blocus. Ce bout de terre est aujourd’hui une prison à ciel ouvert où les mouvements islamistes prospèrent et recrutent au cœur d’une jeunesse désespérée. Mais le choix des armes n’est pas le seul modèle de résistance : avec leurs poings, leurs corps ou leurs mots, de jeunes hommes et femmes refusent de plier face à l’occupation israélienne, mais aussi face aux autorités locales.
Par Alice Froussard
Birmanie : « Nous gagnerons car nous n’avons pas le choix »
Résistance • 25 janvier 2023 abonné·es

Birmanie : « Nous gagnerons car nous n’avons pas le choix »

Deux ans après le coup d’État militaire, le mouvement de résistance pro-démocratie ne fléchit pas. Cependant, l’issue de sa lutte dépend du renforcement des soutiens extérieurs, jusque-là timides.
Par Patrick Piro