Annie Ernaux : « J’ai l’habitude de regarder les choses en face ! »
Annie Ernaux est sur le devant de la scène littéraire et cinématographique. Et elle manifeste plus que jamais son implication dans la vie de la cité, notamment en faveur de Jean-Luc Mélenchon. Autant de raisons pour une rencontre.
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La publication d’un court récit, Le Jeune Homme, celle d’un « Cahier de l’Herne » qui lui est consacré, et bientôt, à Cannes, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, la projection d’un film qu’elle a réalisé avec son fils, David Ernaux-Briot (1) : Annie Ernaux est sur le devant de la scène.
L’autrice des Années (2) a accepté de nous recevoir chez elle, à Cergy. D’abord pour évoquer son actualité éditoriale. En particulier ce bref texte, une novella, écrit à la fin des années 1990 et repris en 2020, dans lequel elle relate la relation qu’elle a eue avec un étudiant, à Rouen, alors qu’elle avait passé le cap de la cinquantaine. Ensuite pour échanger sur ses prises de position, son engagement en faveur de Jean-Luc Mélenchon, les espoirs soulevés par l’union de la gauche, le féminisme ou la vieillesse. Comme elle l’explique ici, la notion du temps est centrale dans Le Jeune Homme, où la narratrice se retrouve dans un « trou temporel ». Dans une autre perspective et toutes proportions gardées, cette rencontre avec Annie Ernaux, on ne peut plus disponible, s’est aussi déroulée comme si les horloges s’étaient momentanément arrêtées. Ces deux heures et demie d’entretien ont filé comme par enchantement.
Est-ce que Le Jeune homme raconte une histoire d’amour ?
Annie Ernaux : Tout ce que j’ai vécu avec lui était une deuxième fois. Je me suis laissé séduire par la perspective d’une histoire insolite, avec ce côté « reviviscence ». Il y avait de l’amour des deux côtés, mais sans doute moins du mien. Parce qu’on ne revit pas les choses deux fois avec la même intensité. Ce n’est pas Passion simple du tout ! Il n’y a pas la violence de Passion simple. Sinon une autre violence, mais pas celle de l’amour. Une violence où la société est présente.
je m’interroge sur ce qui reste de nous quand on est absent.
Toute histoire d’amour est particulière. Celle-ci avait dès le départ un coefficient d’étrangeté puissant. Pas seulement à cause de la différence d’âge. Aussi en raison de la proximité de l’origine sociale, sauf qu’étant transfuge de classe j’étais passée de l’autre côté. À travers lui, c’est ma classe sociale qui me revient, mais dans les années 1990. Et il y a Rouen. Ville qui appartient à ma vie, dès mon enfance. J’y ai fait mes études. Tous les lieux que j’avais fréquentés y étaient encore, même si leur usage, parfois, n’était plus le même. Un autre signe incroyable : son appartement donnait sur l’ancien Hôtel-Dieu, qui était en train d’être transformé en préfecture, hôpital où je me suis retrouvée après mon avortement clandestin, en 1964. Ce serait bientôt le sujet d’un texte à venir, L’Événement.
Vous écrivez à ce propos : « Il y avait dans cette coïncidence surprenante, quasi inouïe, le signe d’une rencontre mystérieuse et d’une histoire qu’il fallait vivre. »
Peut-être est-ce l’influence du surréalisme, qui a marqué ma jeunesse. J’ai fait mon diplôme d’études supérieures, comme on disait à l’époque, sur la femme et l’amour dans le
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