Ce qui ne va plus être possible (2/3)

Le Monde, comme tant d’autres, a participité à la banalisation du tas d’immondices sur lequel prospère le RN.

Sébastien Fontenelle  • 4 mai 2022
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Ce qui ne va plus être possible (2/3)
© Thibaut Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le 31 mars, Le Monde, après avoir « passé au crible » le « projet » de Marine Le Pen, a publié un long papier narrant, comme s’il s’agissait d’une découverte fondamentale, qu’en dépit du fait qu’« à dix jours du scrutin présidentiel de 2022, la candidate du Rassemblement national » avait « plus que jamais adouci son image », son « programme », quant à lui, « demeurait profondément d’extrême droite ». (Et donc pas doux du tout.)

Il n’est bien sûr pas question ici de nier la portée d’une telle divulgation : ce n’est certes pas tous les jours qu’on apprend qu’un parti cofondé (notamment) par un ancien Waffen SS et un ex-milicien est un parti fortement faf, et cette révélation devrait désormais, selon toute logique, peser dans l’histoire des idées (comme des sciences) du même poids que celle que l’eau mouille.

Mais, pour spectaculaire qu’elle soit, elle pèche tout de même par son imprécision. Car, dans la vraie vie, ce n’est bien sûr pas Marine Le Pen qui a au premier chef « adouci son image » : cette dernière a d’abord et principalement été lissée, lustrée, polie par la presse et les médias dominants (1). Et, dans la vraie vie, les journaux (et magazines) réactionnaires et les télés de Bolloré, dont la contribution à l’extrême-droitisation des esprits n’est plus à démontrer, n’ont certes pas été seul·es à œuvrer, par mille manières et moyens – de droit fil ou plus insidieux –, à cette si scabreuse entreprise (2).

Et Le Monde, comme tant d’autres, a lui aussi participé à la banalisation du tas d’immondices sur lequel prospère le Rassemblement national. Après avoir enfin constaté en 2013 – avec plusieurs années de retard sur le reste du monde – qu’Alain Finkielkraut « attisait » à droite un « brasier identitaire », ce journal dit « de référence » a ainsi continué, imperturbablement, à lui offrir des tribunes – et à célébrer chacun de ses nouveaux bouquins en occultant les sinistres obsessions de l’auteur. Ce n’est pourtant pas comme si le moindre doute pouvait encore subsister quant à la nature de ces hantises, puisque dès 2017 Finkielkraut a pour la première fois dit publiquement (et très explicitement) son adhésion à la fantasmagorie complotiste du « remplacisme global ». Mais deux ans plus tard, en 2019, Le Monde a tout de même confié à cet imprécateur le discours de clôture de son « forum philosophique » annuel, dédié cette année-là, comme pour parfaire tout le truc, au thème de « l’identité ».

C’est très bien, évidemment, de rappeler ce qu’est l’extrême droite à la veille du premier tour d’une élection présidentielle. Mais il serait encore mieux de ne plus jamais l’oublier après le second.

(1) Et par tou·tes celles et ceux qui, à gauche (ou à « gauche »), ont accepté de débattre avec des marchand·es de haine raciale ou religieuse (liste non exhaustive) et leur ont ainsi accordé une légitimité.

(2) Sur ce sujet, on lira avec beaucoup de profit le dernier numéro de Médiacritiques, l’excellente revue de l’association Acrimed, tout entier consacré à ce «système médiatique balisant structurellement la route de l’extrême droite» (www.acrimed.org).

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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