« Tranchées », de Loup Bureau : Las de la guerre

Loup Bureau a filmé le conflit dans le Donbass côté ukrainien en 2020. Il en revient avec Tranchées, un film saisissant.

Christophe Kantcheff  • 10 mai 2022 abonné·es
« Tranchées », de Loup Bureau : Las de la guerre
© Les Alchimistes Films

Un soldat, filmé de dos, marche longuement dans une tranchée, une musique lyrique l’accompagnant, le tout en noir et blanc. Pas de doute : on est au cinéma, pas dans un reportage télévisé. La musique, plutôt discrète ensuite, n’est pas là pour créer une émotion factice, mais pour donner de la solennité à cette entrée en matière.

Tranchées, Loup Bureau, 1 h 25.
Nous sommes dans le Donbass en 2020, côté ukrainien, où l’on se bat contre les séparatistes pro-russes. Loup Bureau, documentariste et journaliste, a passé de long mois sur le front, n’ayant pas demandé une autorisation qui l’aurait contraint à ne rester que quelques jours. Il s’est fondu dans la vie des soldats, portant son gilet pare-balles de 20 kg en plus de sa caméra, sa présence était acceptée par tous. Il en revient avec un film étonnant, antispectaculaire, montrant la guerre comme rarement au cinéma.

Il n’est pas question d’attaques ou de grandes opérations stratégiques. Ici, comme dans toute guerre de tranchée – l’imaginaire de la Guerre de 14 n’est pas loin –, il s’agit avant tout d’une logique de position. On occupe un bastion de fortune, et quand celui-ci est détruit par un bombardement, on reconstruit des tranchées et un abri à l’identique. Comme le dit l’un des combattants les plus expérimentés : « J’ai eu plus souvent des outils dans les mains que des armes. » La plupart de ses compagnons sont de jeunes hommes qui passent leur temps à creuser, à attendre, à jouer avec un chien, ou… à se distraire avec des jeux vidéo guerriers ! L’ennui est souvent là, quand ce n’est pas la peur lorsque l’ennemi ouvre le feu.

Il y a aussi la présence d’une femme combattante, habituée à côtoyer des soldats moins adultes qu’elle. On ressent en effet le hiatus entre cette situation où la vie est sans cesse en péril et la juvénilité de ces garçons chahuteurs, blagueurs, coupés de leur famille, sans petites amies, trop impatientes pour avoir gardé le lien.

Tranchées, bien que tourné avant le 24 février de cette année, résonne directement avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le film a aussi une dimension universelle, à laquelle contribue l’esthétique déréalisante du noir et blanc et du format 4/3 (format originel du cinéma muet). On pense à certains films du grand cinéma russe. Quelques plans ont même une valeur iconique. Le terme « antispectaculaire », employé plus haut, est ainsi à préciser. Tranchées ne valorise nullement une quelconque vision héroïque de la guerre, mais impressionne fortement l’œil du spectateur, pénétré de l’absurdité que contient tout conflit.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes