Avalanche Kaito : Guérir le monde

Avalanche Kaito réussit la rencontre entre tradition africaine et modernité bruitiste.

Jacques Vincent  • 15 juin 2022 abonné·es
Avalanche Kaito : Guérir le monde
© Lien Peters

Ce n’est pas une rencontre imaginaire mais bien réelle. Celle d’un musicien burkinabé, Kaito Winse, issu d’une famille de griots et dont la pratique musicale est empreinte de cette tradition, et du duo bruitiste bruxellois Le Jour du Seigneur, composé de Benjamin Chaval (batterie et électronique) et d’Arnaud Paquotte (basse). Ce n’est pas non plus une nouvelle façon de définir la poésie. Encore que.

Un croisement singulier en tout cas, pour un résultat qui ne l’est pas moins et mérite le détour – car c’en est un au regard de nos habitudes d’écoute. Finalement, cette rencontre, comme toutes celles réussies, provoque un déplacement pour les différents protagonistes, porteur d’ouverture dans leurs démarches respectives.

S’entremêlent ainsi dans un syncrétisme musical les instruments traditionnels fabriqués à partir d’éléments naturels – la flûte peule issue d’une variété de fougère, le tama, dit aussi tambour parlant, arc musical dont on dit qu’il est le plus ancien des instruments à cordes, Kaito Winse affirmant lui-même qu’il a été inventé par l’un de ses ancêtres ou « grand-père », titre de la dernière composition de ce disque – et les zébrures, déflagrations et autres cris métalliques produits par les logiciels comme des enluminures futuristes. Le tout est propulsé par une batterie enracinée dans des rythmes obsessionnels, giflant inlassablement peaux et cymbales, et une basse, vague de fond sourde et puissante qui rampe en se fondant discrètement dans le paysage, dont on ne sait s’il est réel ou rêvé. Il faut dire que les moments d’envoûtement sont nombreux.

Utilisant différents dialectes du Burkina Faso, Kaito Winse parle, chante, crie, éructe, souffle, on l’imagine même dansant, mimant physiquement ses histoires, tout le corps investi dans la narration.

Parmi ses influences, Benjamin Chaval cite aussi bien La Monte Young, figure emblématique de la musique répétitive, et Ornette Coleman, autre figure légendaire, du jazz cette fois, de celles que l’histoire retient parce qu’elles ont un jour ouvert de nouvelles voies. On pourra aussi penser à la démarche de Don Cherry, acolyte de Coleman, dans son grand moment de révélation (l’album Free Jazz) et sa curiosité pour toutes les musiques du monde. Sans doute la présence de la flûte renforce-t-elle ce sentiment de voisinage.

Finalement, la modernité technologique du duo belge vient servir l’esprit de la musique de Kaito Winse. Une musique de rituel, de transe, porteuse dans la tradition d’une fonction sociale. Ce n’est pas un hasard si, quand on lui demande son ambition ultime, il répond qu’il veut guérir le monde et d’abord ceux qui l’entourent. Ce qui, dans son esprit, n’est ni une formule ni une posture, mais l’affirmation d’une volonté d’assumer un héritage et de le faire vivre dans le monde d’aujourd’hui. À défaut de guérir le monde, sa démarche a déjà le mérite de s’ouvrir à sa diversité musicale dans ce qu’il nomme lui-même une « communication entre deux planètes ».

Avalanche Kaito, Avalanche Kaito, Glitterbeat/Modulor.

Musique
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