Cinq ans de ménage à quatre, le pari de la Nupes

Après sa percée électorale, l’alliance de la gauche et de l’écologie, première force d’opposition, devra prouver qu’elle n’est pas un feu de paille électoral. Il lui faudra pour cela relever cinq défis.

Patrick Piro  • 22 juin 2022 abonné·es
Cinq ans de ménage à quatre, le pari de la Nupes
© JULIEN DE ROSA / AFP

Ce n’était pas l’euphorie follement espérée, dimanche 19 juin, au sein des quatre partis qui composent la Nupes. Mais pas de déception pour autant, tant le bilan de l’épisode législatif comporte de satisfactions (lire page 6).

La première de toutes, c’est évidemment la constitution inespérée de cette Nouvelle Union populaire écologique et sociale, début mai. Dans l’incertitude de son succès à venir dans les urnes, les cadres de ses différentes composantes affirmaient alors, main sur le cœur, qu’elle visait bien plus loin que le second tour des législatives, qu’il s’agissait de construire ensemble et dans la durée une véritable force de changement. Avec 142 député·es (et peut-être un peu plus en cas de ralliements parmi les 13 députés divers gauche), la Nupes s’attaque à cette feuille de route dans la confortable position de première force d’opposition à l’Assemblée nationale. Mais déjà dans l’inconfort d’avoir à affronter ses divergences internes sans faire claquer les portes à la moindre occasion.

1- Apprendre à (bien) travailler ensemble

Dans l’immédiat, et s’ils jouent collectif dans la répartition des postes, les partenaires de la Nupes sont en mesure d’occuper les positions de pouvoir qui reviennent, par le jeu du règlement de l’Assemblée nationale, au premier pôle d’opposition : le troisième questeur (les deux premiers revenant à la majorité), la première vice-présidence et, surtout, la présidence de la commission des finances : la composition de cette instance stratégique reflétant les équilibres de l’Hémicycle, l’attribution de cette charge par ses membres ne devrait pas échapper à la Nupes si elle s’accorde à présenter une candidature unique (la majorité ne participe pas à ce vote). La socialiste Valérie Rabault, rompue à la pratique des finances publiques ? L’économiste Aurélie Trouvé, ex-porte-parole d’Attac, fer de lance de la lutte contre l’évasion fiscale ? Autre exercice pratique : la Nupes fera-t-elle l’effort de faciliter le ralliement aux 12 député·es PCF de trois divers gauche afin de lui permettre de former un groupe parlementaire ?

La mandature résonnera-t-elle d’une polyphonie ou bien de cacophonies ?

Et s’il n’est pas imaginable d’entendre la Nupes s’exprimer d’une seule voix à l’Assemblée nationale, la mandature résonnera-t-elle d’une polyphonie ou bien de cacophonies qui feront les délices des autres bancs de l’Hémicycle ? La Nupes devra définir une stratégie d’opposition efficace, aussi bien politiquement qu’au nom de l’intérêt commun. La critique systématique l’exposerait à apparaître dans une posture semblable à celle du RN. L’adhésion, en ordre dispersé, à certains projets macroniens d’utilité publique serait exploitée pour la fragiliser. Son échappatoire ? La créativité parlementaire.

2- Enterrer la tentation (et le soupçon) de l’hégémonie

Le premier test en la matière n’aura pas tardé. Dès le lendemain du second tour, Jean-Luc Mélenchon proposait de constituer un groupe unique Nupes à l’Assemblée nationale, « de manière à ce que, sans aucune discussion possible, il soit établi qui mène l’opposition dans le pays et que dès lors nous soyons prêts à tous moments, y compris s’il y a de nouvelles élections, à présenter la candidature de la Nupes ». EELV, le PS et le PCF ont immédiatement décliné, dans une unité de style et de ton : l’accord d’alliance a défini que chaque formation (si elle le peut) aurait son groupe parlementaire, articulé aux autres dans un intergroupe lorsqu’il s’agira de défendre des positions communes. Il n’est pas illogique de vouloir rehausser l’ambition de la Nupes, au vu de la nouvelle configuration politique, particulièrement face aux 89 députés d’extrême droite. Cependant, et alors que LFI dispose de plus de député·es que ses trois partenaires réunis, cette offre est de nature à raviver leurs craintes de voir ce parti exercer un magistère dominant sur l’opposition parlementaire. À titre de rétribution ? « Vous pouvez les applaudir, car ce sont évidemment les insoumis, en premier lieu, qui ont permis cette coalition », saluait dimanche soir Julien Bayou, secrétaire national d’EELV. L’apprivoisement réciproque est loin d’être achevé et nécessitera encore de nombreux gages de confiance de chaque côté, comme l’ont exprimé l’écologiste David Cormand et le communiste Fabien Roussel pour tempérer les enthousiasmes entourant la Nupes au-delà du 19 juin.

3- Le rôle de Jean-Luc Mélenchon

« Je change de poste de combat, mais mon engagement demeurera jusqu’à mon dernier souffle », a lancé l’artisan de la création de ce nouveau cartel des gauches. Jouera-t-il le rôle de « sage » à la parole rare, ou celui d’aiguillon ? Il n’aura fallu que quelques heures pour vérifier que c’est la deuxième option qu’il a retenue (voir ci-dessus). Libre de mandat, il le sera plus encore dans sa parole (si c’est possible), qui devrait également s’exprimer au sein de ce Parlement de la Nupes mis en place fin mai, et dont on attend de mesurer le niveau de prescription politique.

4- Résister au débauchage macronien

Pour gouverner et que ses projets de loi soient adoptés, Ensemble ! est en demeure de construire des alliances. Probablement au cas par cas. Si les 61 député·es Les Républicains devraient être la première cible des entreprises de séduction de la part du chef de l’État, il n’est pas exclu que celui-ci manœuvre pour susciter quelques dissidences chez les plus modéré·es du pôle Nupes, notamment pour le cliver sur les positions qui suscitent des divergences en son sein – le nucléaire, la guerre en Ukraine ou l’Union européenne, par exemple. Ce risque de fracture n’est cependant pas le plus probable : sur chacun de ces sujets, Ensemble ! n’aura pas trop de mal à se faire violence pour rapprocher d’abord ses positions de celles de LR.

5- Éviter de calculer (déjà) en vue des prochaines élections

La succession de Jean-Luc Mélenchon (s’il maintenait sa décision de ne pas concourir à la prochaine présidentielle) est enclenchée au sein de LFI. Si la Nupes prospère, le parti pèsera lourd lors des scrutins à venir, et les arrière-pensées électorales précoces pour 2027, si elles ne sont pas neutralisées, pourraient rapidement déliter l’alliance fraîchement née. Les prochains congrès écologiste, socialiste et communiste donneront la température au sein des partis alliés à LFI : coup de frein ou accélération pour la Nupes ? Le projet de faire fructifier la relative victoire des législatives sera cependant une motivation puissante pour la mandature qui s’ouvre. La Nupes a montré la pertinence de l’alliance, et l’antienne de l’autonomie électorale (le « chacun pour soi ») a perdu beaucoup de sa séduction après le 19 juin. L’idée d’une liste commune pour les prochaines élections européennes de 2024 est déjà dans l’air.

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