Les fragments de Philip Glass

Sylvain Fanet livre un portrait éclaté et passionnant des trajectoires de Philip Glass.

Pauline Guedj  • 22 juin 2022 abonné·es
Les fragments de Philip Glass
© JASON KEMPIN/ Getty Images for Tibet House US/afp

Concocter en moins de trois cents pages une réflexion aboutie sur le compositeur américain Philip Glass est un vrai défi. D’abord, Glass appartient à la catégorie, difficile à saisir, des artistes touche-à-tout, qui multiplie les genres (de la musique minimaliste à la pop), les formes (des Études aux musiques de film) et les supports (enregistrements en studio et en concert, mises en image avec la complicité de réalisateurs). Ensuite, Philip Glass a longtemps été, particulièrement en France, l’objet d’attaques virulentes. «Rien n’est plus bête que les Études de Glass qui sont si connes qu’elles sont déjà mortes», a-t-on pu lire dans Le Nouvel Observateur. Une violence qui laisse songeur.

Philip Glass. Accords et désaccords, Sylvain Fanet, éd. Le mot et le reste, 272 pages, 21 euros.

Pour relever la gageure présentée par cet artiste ultra-productif et controversé, Sylvain Fanet fait le choix de ne pas opter pour un récit chronologique. Le texte n’est pas une biographie, mais plutôt un voyage à travers la carrière de Glass qui multiplie les entrées thématiques, un peu à la manière d’une courte encyclopédie.

Fanet s’intéresse à l’éducation du musicien entre New York et Paris auprès de Nadia Boulanger et du virtuose indien Ravi Shankar. Il évoque la relation de Glass au piano, son instrument de prédilection, et décortique les conceptions du musicien sur le spirituel dans l’art, l’harmonie, le cinéma, et sur l’élaboration d’opéras non narratifs, dont l’expression la plus célèbre reste son Einstein on the Beach conçu en 1976 avec le metteur en scène Bob Wilson.

Chemin faisant, Sylvain Fanet parvient à situer Glass dans les différents champs qui traversent sa musique, mettant ainsi au jour les rapports de force au sein desquels sa carrière s’est développée et qui peut-être expliquent l’agressivité dont il a été l’objet. Au début de son parcours, Glass est le -symbole d’une approche minimaliste qui s’oppose à la pensée sérielle incarnée par Pierre Boulez. Dans les années 1970, il est un artiste habitué aux formes libres des lofts du Downtown new-yorkais qui s’impose au sein des institutions rigides de Midtown. Enfin, autour de 1990, il est ce chantre de la musique contemporaine qui adapte en symphonie la trilogie berlinoise de David Bowie et refuse la dichotomie entre musiques savante et commerciale.

Sylvain Fanet livre le portrait évocateur d’un Glass libre–penseur, champion de l’hybridité et du cross-over. Mais, au-delà de cette posture, l’auteur montre comment la musique de Glass s’appuie aussi sur une théorisation de l’implication des spectateurs. Dressant une généalogie entre Dada et Duchamp, John Cage, Steve Reich et les inlassables répétitions de Philip Glass, Fanet démontre avec force la prégnance chez ces artistes d’une «psychologie de l’écoute » permettant au public d’user de ses perceptions pour prolonger l’œuvre au-delà de son créateur. Objet en mouvements perpétuels, la musique de Glass devient alors une performance qui se redéploie à chaque écoute et que le livre de Sylvain Fanet nous invite à embrasser.

Littérature
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