Retraites, l’« impossible » à portée de main

La retraite à 60 ans coûterait 5 % du PIB, soit la part de valeur ajoutée que le capital a volée au travail.

Jean-Marie Harribey  • 8 juin 2022
Partager :
Retraites, l’« impossible » à portée de main
© Jerome Leblois / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Parmi les 650 mesures proposées par la Nupes, il y en a une qui focalise l’hostilité du gouvernement, du patronat et de la plupart des médias : c’est l’âge du départ à la retraite à 60 ans, avec quarante années de cotisations. Pour tous ses détracteurs, c’est impossible et Élisabeth Borne a donné le ton : « Il faudra travailler progressivement un peu plus longtemps » tant les besoins sont importants : santé, éducation, grand âge, etc. Même un économiste de gauche le confirme dans Alternatives économiques : la retraite à 60 ans coûterait 5 % du PIB. C’est exact et, comme par hasard, cela correspond à la part supplémentaire de valeur ajoutée que le capital a volée au travail au cours de la phase néolibérale.

M. Macron, Mme Borne et M. Roux de Bézieux ont raison sur un point : seul le travail est à même de fournir les ressources nécessaires à notre modèle social. Ils avouent ainsi implicitement que seul le travail produit. Or les cotisations sociales payant les pensions ne sont assises que sur le salaire brut. Et si le gouvernement n’est pas enclin à la hausse des salaires, il est très partisan des primes, de la participation et de l’intéressement, sur lesquels ne pèse aucune cotisation. Soumettons alors tous ces salaires déguisés à cotisation.

Pourquoi l’assiette des cotisations est-elle par ailleurs réduite au salaire brut tandis que l’autre partie de la valeur ajoutée, le profit, en est exclue ? L’élargissement de l’assiette des cotisations à l’ensemble de la valeur ajoutée constituerait un supplément de ressources pour le système de retraite.

Les profits distribuables (hors investissement) représentaient 113,5 milliards d’euros avant le Covid. En appliquant un taux de cotisation de 28,1 %, ce sont 31,9 milliards qui s’ajouteraient au montant actuel des cotisations (1). Cette mesure aurait aussi un autre avantage : celui de diminuer la concurrence exercée par les entreprises très capitalistiques employant peu de main-d’œuvre sur celles ayant beaucoup de salariés, notamment dans les services.

Quels arguments s’opposent à cet élargissement ? Il y en a surtout deux. Le premier est qu’il y aurait un risque de distendre le lien entre la cotisation et le travail. Mais, souvenons-nous : même le Medef avoue que le travail crée toute la valeur ajoutée. Le second argument est que « cela n’ouvrirait pas de droits à pension ». Mais a-t-on jamais opposé cette objection aux cotisations dites patronales qui n’ouvrent non plus aucun droit ? En réalité, ces deux arguments témoignent d’une conception erronée de l’assiette des cotisations, qui est une convention de calcul, et dont les modalités ne changent en rien le fait que c’est toujours la valeur ajoutée nette par le travail qui est la source de tout prélèvement.

Si on considère que la masse salariale doit rester au niveau actuel, rien n’est possible, mais si on bouge le curseur de la répartition de la valeur ajoutée, ça change tout. Et si, à gauche, certains renâclent devant ce choix, c’est que, hélas, ils n’ont pas perdu espoir en la croissance pour tout résoudre.

Par Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.

(1) Pour la méthode de calcul, voir harribey.u-bordeaux.fr/travaux/retraites/elargir-lassiette.pdf

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête
Enquête 6 février 2025 abonné·es

Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête

L’ex président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) est au cœur de l’enquête sur l’intoxication au plomb de plusieurs ouvriers sur le chantier de l’Opéra royal du Château de Versailles. Révélations.
Par Pierre Jequier-Zalc
Sur le chantier de l’Opéra royal du château de Versailles, « des intérimaires envoyés à la mort »
Justice 6 février 2025 abonné·es

Sur le chantier de l’Opéra royal du château de Versailles, « des intérimaires envoyés à la mort »

Ce lundi 10 février s’ouvre à Versailles un procès historique. Près de 16 ans après la grave intoxication au plomb de plusieurs intérimaires sur le chantier de restauration de l’Opéra royal du Château de Versailles, quatre entreprises et six personnes physiques sont notamment accusées de blessures involontaires et de mise en danger d’autrui.
Par Pierre Jequier-Zalc
Siham Touazi, l’infirmière qu’un Ehpad de luxe voulait faire taire
Luttes 6 février 2025 abonné·es

Siham Touazi, l’infirmière qu’un Ehpad de luxe voulait faire taire

Celle qui avait initié une grève inédite de 133 jours avec une dizaine de femmes dans un établissement cossu du Val d’Oise, est visée pour une plainte en diffamation par ses anciens employeurs. L’audience de cette « procédure bâillon » était fixée ce jeudi 6 février. Portrait.
Par Hugo Boursier
Censure : François Bayrou sauvé par les socialistes et le Rassemblement national
Politique 5 février 2025 abonné·es

Censure : François Bayrou sauvé par les socialistes et le Rassemblement national

Le premier ministre centriste et son budget passent la censure. Et le refus des socialistes de faire tomber le gouvernement relance le bras-de-fer entre les roses et les mélenchonistes.
Par Lucas Sarafian