Au Chili, un vent de désinformation contre la nouvelle Constitution

Les forces conservatrices usent de tous les stratagèmes pour saborder le texte remis au président progressiste Gabriel Boric, soumis à référendum ce 4 septembre.

Marion Esnault  • 31 août 2022 abonné·es
Au Chili, un vent de désinformation contre la nouvelle Constitution
© Des affiches catastrophistes en faveur du non au référendum. (Photo : MARCELO HERNANDEZ/Getty Images South America/Getty Images/AFP.)

Sur Twitter, le 29 juillet, une vidéo devient virale. On y voit Constanza Hube, ancienne députée constituante de l’UDI, un parti politique chilien conservateur, distribuer des manuels en faveur du non au référendum sur la nouvelle Constitution, qui se tient le 4 septembre. Le problème ? Ils contiennent de fausses déclarations et utilisent des couleurs et des symboles similaires à ceux du texte. Le livre distribué mentionne en effet sur sa couverture : « Guide pratique des mensonges de la Constitution de la Convention », quand le document officiel est intitulé « Guide pratique de la Constitution de la Convention » !

Avec cette légère nuance, le « manuel » propage ainsi des contrevérités sur la proposition constitutionnelle. On peut y lire, par exemple : « Ils promettent le droit à la santé, mais vous ne pourrez pas choisir où aller et votre contribution à la santé ira obligatoirement au public » ; « Ils promettent le droit à l’éducation, mais ils éliminent les écoles privées subventionnées et ne vous laissent pas choisir l’éducation de vos enfants. »

Beaucoup de ces fausses informations, perversement distillées, ont suscité la peur et risquent de provoquer le rejet de la proposition écrite par 154 constituants, élus de manière paritaire et démocratique en mai 2021. À ce jour, la plupart des sondages donnent le non gagnant avec une avance d’environ 10 points sur le oui.

Sur Twitter, toujours, un ancien constituant du Parti socialiste, Tomas Laibe, réagit : « Incroyable, l’UDI préfère affronter cette campagne par des mensonges et une campagne de terreur, plutôt que de parler du texte et de défendre ses idées. Je regrette que les Chiliens soient trompés de la sorte. » Alors que la campagne pour le oui ou le non à la nouvelle Constitution n’avait pas encore commencé (le début officiel était programmé pour le 5 août), le ton était donné.

Lors de la remise du texte au nouveau président progressiste, Gabriel Boric, le 4 juillet, celui-ci avait insisté sur la nécessité « de lire [et] d’étudier la proposition constitutionnelle ». Il avait ajouté que, en tant que président de la République, il avait « le devoir de garantir à chaque citoyen qu’il pourra[it] prendre une décision informée et libre le 4 septembre ». Enfin, il invitait à « débattre intensément des avancées proposées par le texte. Mais pas des fausses informations, distorsions ou interprétations catastrophiques, qui sont loin de la réalité ».

Attaques de l’opposition

Ce devoir d’informer, Gabriel Boric n’a cessé de le réaffirmer depuis le début de la campagne. Alors que les services gouvernementaux organisent des distributions ­gratuites de la ­proposition de Constitution sur les places de village, les défenseurs du non accusent le nouveau locataire de la Moneda, le palais présidentiel, de faire campagne pour le oui.

Son opposant au second tour de l’élection présidentielle de décembre 2021, le candidat d’extrême droite José Antonio Kast, a lancé les hostilités en juillet : « Nous avons vu le président, ses ministres et ses maires user et abuser de l’État pour lancer une campagne en faveur de leur option pour le plébiscite. »

Plusieurs initiatives, particulièrement issues des partis situés à droite de l’échiquier, ont questionné l’objectivité de Gabriel Boric. En août, alors que le Président poursuivait ses déplacements en régions, des députés de droite ont déposé une requête auprès du Contrôleur général de la République.

Cet organe, dont le rôle est de contrôler et éventuellement de sanctionner les actions du gouvernement, a ouvert une enquête pour répondre à cette accusation d’« interventionnisme électoral » et de « transgression de l’indépendance par le pouvoir exécutif », comme mentionné sur la requête.

Face à ces attaques officieuses et officielles successives de la part de l’opposition, Gabriel Boric a maintenu sa ligne. « Je constate qu’il existe un secteur de la société chilienne, notamment lié à l’option “non”, qui pense qu’informer est un délit », a-t-il déclaré lors d’un déplacement dans le sud du pays.

Il a ajouté que le gouvernement « se conforme aux instructions établies par le Contrôleur général » et précisé : « Si des choses doivent être corrigées, nous les corrigerons, mais nous ne cesserons pas d’informer. Je considère qu’informer est un droit, et surtout, dans notre cas, un devoir.»

Sondages favorables au non

Depuis le début de la campagne, presque aucun institut de sondage n’a donné le oui gagnant. Les enquêtes d’opinion sont largement favorables au non, donné vainqueur avec plusieurs points d’avance. À deux semaines du référendum, l’institut Cadem Plaza Publica, qui se présente comme « la première et unique plateforme de sondages hebdomadaires », annonce que 46 % des Chiliens voteront pour le non et 37 % pour le oui. 17 % resteraient indécis et ce sont bien eux qui devraient décider du sort du scrutin le 4 septembre.

Bien que ce référendum soit obligatoire, alors que le vote ne l’est pas au Chili et que le taux d’abstention y est élevé – les 56 % de participation pour la présidentielle de décembre 2021 ont constitué un record depuis le retour à la démocratie en 1990 –, moins de 70 % de la population aurait l’intention de se rendre aux urnes.

Pourtant, selon un autre institut de sondage, TorreAlFil, « étant donné que le scrutin du 4 septembre intègre le vote obligatoire et l’inscription automatique pour la première fois depuis 2010, il n’est pas possible de projeter le taux de participation à l’aide des données des dernières élections ».Cet ­institut ne se fonde pas sur une enquête mais sur une analyse électorale approfondie depuis le retour à la démocratie. C’est l’un des seuls sondages aboutissant à la victoire du oui, à hauteur de 56 %.

Le mensonge et la terreur

Dans un entretien à BBC News Mundo, le 21 juillet (1), Sebastian Valenzuela, professeur à l’Université catholique du Chili, qualifie de « brutale » la désinformation qui entoure le texte que les Chiliens devront approuver ou rejeter. L’aspect le plus problématique est, à ses yeux, que « la désinformation est utilisée non seulement pour semer la confusion autour de la proposition, mais aussi comme un outil d’attaque ».

Il ajoute : « Quand on dit qu’il n’y a pas de protection de la propriété privée dans le texte de la Convention, on ne s’attend pas à ce que les gens le croient […], ça vise à générer une réaction émotionnelle pour que les personnes se disent : “Ils ne protègent pas le droit à la propriété, ils vont prendre nos maisons.” »

C’est l’une des plus grandes peurs mises en exergue par la campagne du non : que les Chiliens perdent leur maison.

C’est l’une des plus grandes peurs mises en exergue par la campagne du non : que les Chiliens perdent leur maison. Alors que la proposition du texte constitutionnel dit clairement dans son article 51 que « toute personne a droit à un logement décent et adéquat, permettant le libre développement d’une vie personnelle, familiale et ­communautaire ».

Cette opération de désinformation décrite par Sebastian Valenzuela est particulièrement visible depuis le début de la campagne du référendum, mais elle est présente depuis les débuts de la Convention constitutionnelle, alors que le texte n’était pas encore écrit. En novembre 2021, l’édition chilienne du Monde diplomatique titrait ainsi : « La droite utilise le mensonge et la terreur (1) ».

Dans une tribune, le journaliste Libio Perez rappelait que « le recours au mensonge, l’interventionnisme électoral du gouvernement et les campagnes de terreur ne sont pas nouveaux dans l’histoire politique du Chili ». Puis il soulignait que ces pratiques « ont sans aucun doute été les armes favorites de la droite ».

Et d’achever sa tribune sur une anecdote : « À la fin du mois d’octobre [2021], la sénatrice UDI Ena Von Baer [a dit] à propos des travaux de la Convention constitutionnelle que, “dans la pratique, pour l’instant, il a été proposé de changer le drapeau, l’hymne national, le nom du pays”… ».

Cette fausse information, bien que démentie par de nombreux constituants, est pourtant devenue un argument majeur des partisans du non à la nouvelle Constitution. Gaspar Domingez, vice-président de la Convention constituante, lors de son discours de clôture du travail constitutionnel le 4 juillet, a dû rappeler que les symboles patriotiques chiliens – son drapeau, son emblème et son hymne national – faisaient partie intégrante de la proposition.

Des moyens inégaux

Dans tous les recoins du Chili, les partis politiques mais aussi les citoyens de tous bords se mobilisent pour continuer à écrire l’histoire. Un appel a été lancé pour une grande marche en faveur du oui, le 1er septembre, soit trois jours avant le scrutin, dans les rues de Santiago. Le camp du non organise aussi son grand événement.

Néanmoins, les moyens déployés ne sont pas les mêmes dans chaque camp. Les différentes équipes de campagne du oui ont réussi à mobiliser 365 698 249 pesos (410 000 euros) alors que le non a reçu plus du double, soit 878 913 749 pesos (990 000 euros).

« Le texte n’est pas parfait. » Gaspar Domingez l’avait souligné lors de son dernier discours. Les partis politiques de gauche favorables au oui ont appuyé cet avis et ont déjà annoncé un accord pour apporter des modifications au texte constitutionnel, après le référendum.

Gabriel Boric a d’ores et déjà annoncé que, si le non l’emporte, il faudra réélire une Convention constitutionnelle.

Du côté des partisans du non, il n’est pas question de maintenir la Constitution de Pinochet mais plutôt, selon leur slogan de campagne, de « rejeter celle-ci pour une meilleure, faite avec amour ». À ce jour, les forces de droite ne se sont pas mises d’accord sur une proposition concrète. Certaines parlent d’un groupe d’experts qui devrait écrire la nouvelle Constitution, d’autres des parlementaires.

Gabriel Boric, lui, a d’ores et déjà annoncé que, si le non l’emporte, il faudra réélire une Convention constitutionnelle pour respecter le référendum d’octobre 2020 et l’accord passé avec la population lors de la révolte sociale de 2019 (lire Politis n° 1713, du 7 juillet 2022) : une nouvelle Constitution écrite par le peuple, qui mette fin à celle de 1980 adoptée sous Pinochet.


(1) « La derecha usa la mentira y el terror », Libio Perez, www.lemondediplomatique.cl, novembre 2021.

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