Polémique à la Biennale de Berlin

Une installation géante à base d’images issues de la prison d’Abou Ghraib a secoué la manifestation.

Christophe Kantcheff  • 24 août 2022
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Polémique à la Biennale de Berlin
© Kader Attia, curateur de la Biennale. (Photo : Jennifer Soike.)

Dans le cadre de la Biennale de Berlin, qui se tient jusqu’au 18 septembre, Jean-Jacques Lebel, qui est l’un des 150 artistes invités, a choisi de montrer les terribles images issues de la prison d’Abou Ghraib, où des militaires états-uniens (hommes et femmes) se livraient à des actes d’humiliation et de torture sur des détenus irakiens. Si ces photographies sont célèbres, elles ne sont pas forcément vraiment regardées, estime l’artiste, qui en a fait une installation géante. Une œuvre, intitulée Poison soluble, déjà exposée à Genève, Nantes et Paris sans susciter de remous – sinon l’effroi qu’une telle œuvre d’art peut provoquer –, mais qui à Berlin soulève une vive ­polémique.

La commissaire d’exposition Rijin Sahakian et les artistes Sajjad Abbas, Layth Kareem et Raed Mutar, de nationalité irakienne, eux aussi invités, ont en effet écrit une longue lettre ouverte, le 29 juillet, sur Artforum, qui commence ainsi : « La Biennale a pris la décision de marchandiser des photos de corps irakiens emprisonnés illégalement et brutalisés sous l’occupation, en les exposant sans le consentement des victimes et sans aucune contribution des artistes irakiens participant à la Biennale et dont les œuvres ont été installées à leur insu. »

Questions cruciales

Ce sont ici les droits au respect de la vie privée, à l’image et à la dignité qui sont notamment invoqués. Auxquels peut être opposé l’intérêt général à la diffusion des images. La controverse, qu’il serait vain de vouloir trancher de manière lapidaire, soulève ainsi nombre de questions cruciales. D’autant que la commissaire et les trois artistes, outre qu’ils estiment que l’installation de Jean-Jacques Lebel participe de ce qu’elle dénonce, mettent en cause la façon dont l’exposition a été conçue : les œuvres de Sajjad Abbas, Layth Kareem et Raed Mutar ayant, selon eux, servi de faire-valoir au détriment de leurs qualités propres.

Or, le curateur de cette Biennale n’est autre que Kader Attia (photo), fondateur à Paris de La Colonie (lieu de réflexion sur la question postcoloniale, jusqu’à sa fermeture en 2020), dont la pratique artistique, comme le mentionne son droit de réponse publié le 15 août sur Artforum, « est fondée sur l’exploration des blessures matérielles et immatérielles causées par le colonialisme et l’impérialisme ». Kader Attia et la Biennale semblent avoir opté en faveur de l’organisation d’un débat à partir de cette polémique, plutôt que de clore toute discussion. Utile résolution, si toutes les parties s’y mettent.

Culture
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