En Irak, la révolution ou le chaos

Trois ans après le large mouvement de contestation écrasé dans le sang, le spectre d’un affrontement armé entre les puissantes factions chiites menace de livrer une nouvelle fois le pays à ses démons.

Laurent Perpigna Iban  • 25 octobre 2022 abonné·es
En Irak, la révolution ou le chaos
© Le mouvement Tishreen était « rempli de femmes fortes, qui n’avaient peur de rien, qui allaient au bout de leurs idées. C’était comme une famille. » (Photo : Hussein FALEH / AFP.)

Vous ne verrez pas leur visage. Certains donneront leur vrai prénom, d’autres non. Si, comme une grande partie des activistes du soulèvement qui a secoué le pays entre octobre 2019 et février 2020, ils tâchent de ne pas trop attirer l’attention sur eux, ces garçons et ces filles, une fois la glace brisée, acceptent volontiers de se livrer : « Nous voulions alerter le monde sur ce qu’il se passait en Irak. Pacifiques, nous avons fait face à un gouvernement, à des États, à des organisations armées. Seuls. »

Ces mots sont ceux d’Amani. Employée dans une ONG, l’activiste de 26 ans cache derrière ses yeux noirs une colère intarissable et, comme une immense partie de la population irakienne aujourd’hui, la crainte de voir son pays basculer dans le chaos. Il y a quelques semaines, elle et ses camarades ont assisté – de loin – à un regain de violence extrême au cœur de la capitale ; des affrontements d’ampleur, en direct à la télévision, entre deux factions chiites rivales irréconciliables, en lutte pour le pouvoir (lire l’encadré en fin d'article).

Si les armes se sont tues rapidement, le problème politique de fond perdure. Et la récente nomination d’un président de la République et d’un Premier ministre, après un an de vacance, ne semble pas s’apparenter à une sortie de crise. Un scénario de crispations intenses que voulaient absolument éviter les activistes irakiens qui, aux premiers jours d’octobre 2019, avaient pris d’assaut les rues de Bagdad et de plusieurs grandes villes du sud de l’Irak.

Sur fond de crise économique et sociale, excédée par des décennies de corruption et de domination étrangère, une partie de la jeunesse déshéritée du pays – très majoritairement chiite – réclame alors la chute du régime, la fin du système confessionnel ainsi qu’une véritable démocratie.

« Les précédentes vagues de manifestations concernaient les services de base, comme l’électricité, alors que ce mouvement est allé beaucoup plus loin. Il traduisait le fait que nous nous sentions presque étrangers dans notre propre pays, contrôlé par d’autres puissances », affirme Amani.

Dans l’orbite iranienne depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, le territoire n’a retrouvé ni la stabilité ni la prospérité. Si, depuis la défaite de l’organisation État islamique (EI), un calme tout relatif semble régner, l’Irak reste un pays avec des richesses considérables, mais toujours peuplé de pauvres.

« Tishreen », seul contre tous

Aya n’a que 17 ans en 2019. Comme beaucoup de jeunes de son âge, cette étudiante a rejoint les rangs de la contestation sans que sa famille soit au courant. Comment aurait-il pu en être autrement ? Dès le tout début de ce soulèvement irakien, le pouvoir a

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