« La combattante » de Camille Ponsin : le savoir qui sauve

Le documentariste dresse le portrait d’une militante infatigable dont les connaissances sur le Darfour lui permettent d’aider efficacement les exilés.

Christophe Kantcheff  • 4 octobre 2022 abonné·es
« La combattante » de Camille Ponsin : le savoir qui sauve
© Photo : Minima Production.

Le film s’ouvre sur une vieille dame dans son appartement. Elle est d’un âge avancé, marche précautionneusement entre des piles de dossiers et l’imprimante de son ordinateur.

La Combattante, Camille Ponsin, 1 h 34.

Elle cherche des documents, ne se souvient plus où elle les a rangés. On ne sait encore rien d’elle, mais il est manifeste que cet appartement ne correspond pas à l’idée que l’on se fait d’un intérieur voué au repos. Le lieu respire au contraire l’activité, traduit la présence d’une femme encore sur la brèche.

Telle est Marie-José Tubiana, 90 ans au moment du tournage de La Combattante, ethnologue à la retraite, certes, mais apportant son aide précieuse et décisive aux Soudanais qui, déboutés du droit d’asile par l’Ofpra, engagent un recours. Marie-José Tubiana est en effet spécialiste du Darfour. Mais c’est trop peu dire tant ses connaissances historiques, linguistiques et humaines sur cette région de l’ouest du Soudan sont amples, profondes. Intimes.

© Politis
Photo : Minima Production.

Elle a découvert l’histoire du Darfour et ses habitants en 1965, quand elle s’y est rendue pour la première fois. C’est avec eux, dans le cadre de son travail d’ethnologue, qu’elle a rassemblé une mine d’informations, comblé les nombreuses lacunes de la documentation courante. Et c’est pour elle un juste retour des choses que de porter secours aux exilés venant de ce point d’Afrique où leur vie est menacée. Avec des résultats quasiment toujours positifs.

Expertise et militantisme

Le travail militant de la vieille dame, auquel nous assistons, consiste à recevoir ces exilés – en l’occurrence, trois hommes et une femme –, accompagnés d’un traducteur, pour qu’ils lui fassent le récit de leur parcours. Avec tact (elle évite de faire revivre les scènes les plus traumatiques), elle exhorte ses interlocuteurs à entrer dans les détails, à livrer le maximum d’éléments factuels.

Son savoir lui permet d’expliquer des points restant flous à cause d’une difficulté de traduction ou de mettre en perspective un événement qui, isolé, reste incompréhensible. Marie-José Tubiana amène à l’élaboration d’un récit beaucoup plus circonstancié que celui dont s’est contenté l’Ofpra, corrigeant en outre les contresens.

Les motifs de refus de l’Ofpra invoquent fréquemment la confusion des témoignages. Au contraire, l’ethnologue les éclaire.

Les motifs de refus de l’Ofpra invoquent fréquemment la « confusion » des témoignages. Au contraire, l’ethnologue les éclaire. Et cette lumière faite est affaire de précision narrative et descriptive. C’est le produit d’une expertise mise au service d’une activité militante, plus efficace que les seules bonnes intentions.

Revenons à l’appartement de Marie-José Tubiana. Sur ses murs et ses étagères, plusieurs objets décoratifs témoignent des nombreuses années passées au Soudan. Sans que cela soit explicite – sinon visuellement –, les exilés qui y pénètrent pour la première fois apprécient vraisemblablement ces signes familiers.

Fabuleuses archives

Dans ses tiroirs, ses placards, ses secrétaires scrupuleusement classés, c’est encore autre chose : s’y trouve une foultitude de notes, de cartes, de photographies et de films. L’endroit se révèle être un haut lieu archivistique sur le Darfour, à la mesure des connaissances de Marie-José Tubiana.

De ses fabuleuses archives, le film lui-même est enrichi. Le documentariste, Camille Ponsin, a puisé dans les nombreux clichés pris par l’ethnologue (en particulier dans les années 1960, où, sur certains, elle apparaît, jeune – regarder sa propre image n’est pas ce que préfère la vieille dame…) et livre quelques extraits des films qu’elle a réalisés. Nul étonnement à ce que ceux-ci soient particulièrement marquants : Marie-José Tubiana a appris à filmer avec un membre de l’équipe de Jean Rouch.

Comment seront transmises les connaissances et l’action de cette femme ? Là encore, cette question n’est pas abordée de front, loin de tout didactisme pesant, mais il est peu probable qu’elle n’effleure pas le spectateur. On attribue à Amadou Hampâté Bâ cette phrase : « En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » Souhaitons longue vie à Marie-José Tubiana pour qu’elle ait aussi le temps de léguer son saint savoir !

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Cinéma
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