5 ans de #MeToo : contre le sexisme au travail, il reste du travail

Prévention insuffisante, prise en charge aléatoire des victimes : le monde de l’entreprise peine à répondre aux violences sexistes et sexuelles, mais associations et syndicats essaient de faire face.

Pierre Jequier-Zalc  • 2 novembre 2022 abonné·es
5 ans de #MeToo : contre le sexisme au travail, il reste du travail
© Rassemblement pour dénoncer les VSS au sein du gouvernement, à Paris en novembre 2021. (Photo : Noemie Coissac / Hans Lucasi / Hans Lucas via AFP.)

Le mouvement #MeToo est parti de la sphère du travail. De l’affaire Weinstein, ce producteur de cinéma américain condamné pour viol et agression sexuelle commis sur plusieurs actrices. « Dans ce cas, il y avait un vrai lien de subordination professionnelle », note Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT et pilote du collectif femmes-mixité. Depuis, #MeToo a largement embrassé toutes les strates de la société. Mais le monde du travail, pourtant à son origine, n’a que peu embrayé.

Malgré de nombreux facteurs de risques – espace de travail exigu ou collectif, relation hiérarchique, forte majorité masculine dans les postes de pouvoir –, le phénomène reste peu étudié en France. Les deux études de référence sont en effet antérieures à MeToo.

L’enquête Virage, réalisée en 2015, évoque 128 000 femmes victimes de violences sexuelles au travail par an en France. Celle du Défenseur des droits, réalisée en 2014, parle d’une femme sur cinq victime de harcèlement sexuel au travail au cours de sa vie. Depuis, aucune étude fiable d’envergure nationale n’a été réalisée.

Sur le terrain, en revanche, on souligne une vraie libération de la parole des salariées. « Pour nous, un premier cap avait été franchi dès l’affaire Denis Baupin », explique Vesna Nikolov, juriste au sein de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Quelques mois avant l’affaire Weinstein, plusieurs Françaises accusent l’ancien député Europe Écologie-Les Verts Denis Baupin de harcèlement et d’agressions sexuelles.

La prise en charge, enjeu majeur

« À partir de là, nous avons commencé à recevoir beaucoup de témoignages », poursuit-elle. D’une à trois saisines par semaine avant 2016, l’association grimpe à une à trois saisines par jour. « Et cela ne décroît pas depuis », commente la juriste. « Depuis MeToo, les femmes portent une attention accrue à ce qu’elles subissent au travail. Ce mouvement a donné une grammaire aux femmes, il leur a permis de mettre des mots sur des agissements structurels qui n’étaient pas forcément conscientisés comme problématiques », note Anne Bouillon, avocate au barreau de Nantes en défense des femmes victimes de violence.

Si les dénonciations des violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein des entreprises semblent avoir augmenté, leur prise en charge reste un enjeu majeur. « La réponse des directions n’est pas à la hauteur, regrette Sophie Binet. Dès que l’agresseur est à un poste de pouvoir au sein de l’entreprise, il est très dur, voire impossible, de régler le sujet en

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Société
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