« Armageddon Time » de James Gray : les paradoxes du racisme

Dans Armageddon Time, James Gray puise dans ses souvenirs d’enfance et en tire un film subtil.

Christophe Kantcheff  • 8 novembre 2022 abonné·es
« Armageddon Time » de James Gray : les paradoxes du racisme
Un film sans concession, politique mais non dénué de tendresse.
© Photo : Focus Features Distribution.

Après la forêt amazonienne, avec The Lost City of Z (2016), puis les anneaux de Neptune via la Lune, avec Ad Astra (2019), James Gray revisite ses souvenirs d’enfance, d’où il tire un film dont l’action se déroule dans les années 1980, au cœur d’un quartier de New York régulièrement présent dans son œuvre, le Queens.

Armageddon Time, James Gray, 1 h 54.

Paul (Banks Repeta) est le fils cadet d’une famille juive de la middle class, démocrate et donc anti-Reagan, alors président des États-Unis. Le grand-père (Anthony Hopkins), proche de Paul, en est le patriarche, qui porte la mémoire de la Shoah.

Il représente aussi un pôle de tempérance dans ce clan où la violence des mots est parfois accompagnée de celle des gestes. Surtout à l’encontre de Paul, au tempérament artiste et fantasque, auteur de quelques bêtises à l’école. Il peut être terrorisé par son père, comme ce jour où celui-ci lui inflige des coups de cravache.

Dans Armageddon Time, James Gray ne règle aucun compte. Ce père violent, le cinéaste en donne pourtant une image nuancée, en le montrant atteint par le mépris de classe suscité par son métier de plombier, et sans doute traversé par des failles remontant à loin. Gray dresse des constats, sur un mode personnel, qui reflètent l’évolution du climat idéologique des années 1980.

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James Gray signe un film sans concession, politique mais non dénué de tendresse. (Photo : Focus Features distribution.)

Par exemple, l’importance donnée à la réussite et à l’argent. Les parents (Anne Hathaway et Jeremy Strong) de Paul finissent par le retirer de l’école publique – où les élèves de peau noire sont de plus en plus nombreux, dit-on lors d’un repas de famille – pour le mettre dans le privé, dans une institution financée et « inspirée » par Fred Trump, le père de Donald.

Hiatus familial

Le racisme qui gagne peu à peu les parents de Paul n’était pourtant pas une donnée première chez eux. En plus d’être démocrates, ils baignent dans les récits faits par leurs aînés des persécutions et des crimes subis par les juifs. De ce point de vue, la mort du grand-père symbolise une rupture. La transmission n’a pas eu lieu, alors que le vieil homme, avant de disparaître, a enjoint à son petit-fils de toujours défendre les plus faibles.

Pour Paul, dont le meilleur ami est Johnny (Jaylin Webb), qu’on ne désignait pas encore comme racisé, ce hiatus familial est profondément perturbant. D’autant qu’il tient à rester solidaire de Johnny, qui, quant à lui, quoi qu’il dise ou fasse, se retrouve toujours en position de coupable.

James Gray signe ici un film sans concession, politique mais non dénué de tendresse, qui ajoute un nouveau volet à son œuvre vibrant entre l’intime et le collectif.

Cinéma
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