En mémoire de Jean-Claude Renard, journaliste à Politis

Notre collègue est décédé dans la nuit du 31 octobre. Plusieurs membres de la rédaction lui rendent hommage.

Politis  • 2 novembre 2022
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En mémoire de Jean-Claude Renard, journaliste à Politis
© Photo : DR.

Notre collègue Jean-Claude est décédé brutalement, dans la nuit de lundi 31 octobre. Il avait rejoint notre équipe en avril 1996. Nous reviendrons plus longuement prochainement sur sa carrière de journaliste et d’auteur. Vous pouvez lire son dernier article qui paraît cette semaine. Que sa famille et ses proches trouvent ici nos condoléances et nos pensées très émues.

© Politis

Marie-Édith Alouf

La première fois que j’ai vu Jean-Claude Renard, c’était il y a près de quarante ans sur les bancs de la Sorbonne, où nous étudiions les lettres modernes. Au programme, il y avait Le Roman de Renart… Le roman de notre amitié s’est enrichi de nombreux chapitres depuis.

Le chapitre Politis n’est pas des moindres. À la faveur d’un tournant dans sa vie, au milieu des années 1990, je lui ai suggéré de venir faire un stage à Politis, puis ce furent des piges, puis son emploi, parallèlement à l’écriture de ses livres, du roman au bel ouvrage culinaire en passant par le guide de voyage. Quelle riche idée ai-je eue là ! Lui, se nourrissant de la culture et des valeurs de notre hebdomadaire, a rencontré tant de grandes figures qu’il portraiturait ou interviewait avec une insatiable curiosité pour leur parcours, leur univers : artistes, photographes, personnalités engagées… Le journal, pour sa part, a reçu sa plume si personnelle, pleine d’élégance, de mordant et de tournures cousues main. Un plein fagot de talents, pour lui piquer une de ses expressions favorites.

Les vrais amis « à la vie » sont rares. On les compte généralement sur les doigts d’une main. De ma main aujourd’hui amputée, il me coûte énormément d’avoir à écrire ces mots.

Patrick Piro

Quand il arrivait à la rédaction, le lundi matin, on se regardait, sans un mot, avec des airs catastrophés ces derniers temps. Notre complainte « météo », avec Jean-Claude, c’était la performance de « Sainté » en championnat de France de football, désormais celui de Ligue 2. Nous avions en partage d’amour ces Verts-là, l’équipe de l’Association sportive de Saint-Étienne dont les exploits et le panache, dans les années 1970, ont marqué de manière indélébile notre âme adolescente de supporteur naissant. Nous avions même caressé le projet d’assister, un de ces quatre, à un match de notre équipe fétiche. J’aurais aimé entendre résonner sa grosse voix dans le fameux « chaudron » des Verts. Plus tard, quand ils iraient mieux. Or, samedi 22 octobre, Sainté venait d’enregistrer sa première victoire à l’extérieur de la saison. Jean-Claude était en arrêt maladie. Nous n’aurons pas eu l’occasion de célébrer ce sursaut, sans illusion, et avant tout en complicité. Je suis un Vert à moitié vide.

Olivier Doubre

Le « fox » ou « volpe » était « l’une des meilleures plumes de la maison », disaient souvent certains des plus anciens au journal. Politis vient de perdre un journaliste affectueux, toujours curieux, bon vivant, boulimique… de la vie. Je viens de perdre un ami. Cher.

Avec sa voix rauque, cassée par le tabac, son inconfort à s’exprimer en public était largement compensé par une exigence de travail, de recherche de nouveaux sujets et de rencontres – il signait souvent de beaux portraits dans nos pages – et, surtout, une exigence extrême pour le style. L’écriture était son domaine, lecteur insatiable qu’il était, travaillant ou plutôt taillant (à la serpe) sa phrase. « Casse ta phrase ! », me répétait-il sans arrêt, moi qui ai tendance à m’enliser dans des phrases trop longues. Ce « célinien » fervent (auteur d’un doctorat de littérature publié chez Buchet-Chastel, Céline, les livres de la mère) n’hésitait pas, contrairement à bon nombre d’entre nous, à fleurir ses textes d’expressions grivoises et d’argot, tirés autant de Mort à crédit que des Tontons flingueurs. Fin connaisseur de l’Italie, sur laquelle il écrivit beaucoup (dont des guides Michelin), il avait, avec sa compagne, Amélie, choisi d’appeler leur fils (de 3 ans) Luca. Nous pensons fortement à tous les deux, le cœur serré. Tu vas salement nous manquer, vieux !

Denis Sieffert

Un jour, j’avais demandé à Jean-Claude Renard de « couvrir » une exposition du peintre Michel Tyszblat. Peu après, celui-ci m’appelait : « Qui est cet énergumène que vous m’avez envoyé qui a passé en revue mes toiles au pas de charge ? » Embarras du rédacteur en chef. Mais, quelques jours plus tard, nouvel appel de Michel Tyszblat : « Je viens de lire Politis. _Ce Renard a écrit l’un des meilleurs articles que l’on ait écrit sur ma peinture. » _Ainsi était Jean-Claude Renard, surdoué faussement dilettante. Jean-Claude était aussi un personnage chaleureux, cuisinier hors pair (il a beaucoup écrit sur le sujet), romancier amoureux de Rome, fada de football (une passion qui nous a souvent rapprochés). Je pense à sa compagne Amélie, et au petit Luca. Jean-Claude, dont le cœur a lâché, avait 57 ans.

Christophe Kantcheff

Avec Jean-Claude, nous avons beaucoup ri. Son humour, qu’on retrouve dans ses livres, en particulier dans le dernier paru, Si je sors je me perds (L’Iconoclaste, 2018), lui permettait de supporter la bêtise, ce que le monde a de plus laid, ainsi que notre implacable condition humaine. Il préférait rire de la mort, quand on sait, finalement, qu’elle est toujours victorieuse. Jean-Claude avait aussi la drôlerie irrévérencieuse. Je me souviens d’un épisode qui, sous son allure potache, disait quelque chose de très sérieux. Jean-Claude m’avait proposé d’écrire une brève au vinaigre dans les pages culture sur un premier roman partout encensé, dont l’auteure était vite devenue très à la mode. Une fois publié, l’articulet, fort bien troussé comme tout ce qu’écrivait Jean-Claude, avait déclenché l’ire de l’éditeur qui ne supportait pas de voir sa protégée égratignée. Jean-Claude lui fit une réponse très personnelle : il lui écrivit une lettre laconique lui recommandant pour sa santé de calmer son courroux, et au besoin d’avoir recours… à du Lexomyl, dont il avait soigneusement scotché quelques barrettes sur le papier ! Il est à parier qu’aucun éditeur au monde n’a reçu une telle lettre. C’est ce Jean-Claude qui va continuer à vivre en moi : le journaliste, et tout aussi bien l’homme, qui avait gardé l’esprit d’un gamin effronté, envers lequel on ne pouvait éprouver que de la tendresse.

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