« Le Serment de Pamfir » de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk : la fête du cinéma

Dans son premier long-métrage, le cinéaste ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk met en scène un thriller social éblouissant.

Christophe Kantcheff  • 1 novembre 2022 abonné·es
« Le Serment de Pamfir » de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk : la fête du cinéma
© Un premier long métrage qui met en scène une histoire familiale et un thriller social. (Photo : Condor Distribution.)

Il est toujours émouvant d’assister à la naissance d’un grand cinéaste. Même si l’avenir n’est pas écrit, il est peu probable que Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk n’ait bénéficié que d’un moment de grâce passager en réalisant Le Serment de Pamfir, tant l’impression qu’il laisse sur le spectateur est puissante.

Le Serment de Pamfir, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, 1 h 42.

Après quelques courts métrages et un documentaire, le cinéaste ukrainien de 38 ans a développé ce projet ambitieux sur plusieurs années, atteignant d’emblée une qualité artistique peu commune. À la Quinzaine des réalisateurs, où il a été sélectionné à Cannes cette année, le film a été plus que remarqué.

Le Serment de Pamfir est l’histoire d’un homme qui rentre chez lui après une longue période durant laquelle il est parti travailler à l’étranger, où il gagne mieux sa vie. Il s’agit d’une situation classique (le récent R.M.N. de Cristian Mungiu commence de la sorte), et même d’un archétype du western. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques du film : inscrire des motifs universels du cinéma dans un contexte local.

Le Serment de Pamfir s’ancre en effet dans une région particulière de l’Ukraine, le Tchernivtsi, au sud-ouest du pays, zone frontalière de la Roumanie et de la Moldavie. C’est donc dans son village que revient Pamfir (Oleksandr Yatsentyuk), où vit sa famille, notamment sa femme, Olena (Solomiya Kyrylova), et son fils, Nazar (Stanislav Potyak).

Ceux-là ne rêvent que d’une chose : qu’il reste parmi eux. Pamfir a pourtant l’intention de repartir. Mais Nazar fait en sorte que les papiers de son père brûlent dans l’incendie – qu’il provoque – de l’église du village. Pamfir doit donc réunir une rondelette somme d’argent pour acquérir de faux papiers.

Fresque exubérante

Plusieurs fils se tissent ainsi à travers le protagoniste : familial, social et infra-social (les trafics illégaux). Il y a d’abord la description de sa personnalité et de ses relations avec ses proches. Pamfir est un costaud doté d’un fort charisme, amoureux de sa femme et très lié à son fils, souffrant d’un conflit ancien avec son propre père.

Fruste d’un côté (la scène de sexe), Pamfir est aussi doté d’une intelligence incontestable, et se révèle être un homme droit. Sa place au village, en revanche, est loin d’être évidente. Il n’est aucunement rejeté. Mais il ne trouve qu’un boulot mal payé. Et quand, à son corps défendant parce qu’il s’était juré de ne plus y replonger, il reprend une mission de contrebande pour réunir l’argent dont il a besoin, il constate que l’activité est désormais trustée par un chef véreux de la police locale ne tolérant aucun rival.

© Politis
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Une mise en scène inventive mais qui ne tombe jamais dans la virtuosité. (Photo : Condor Films.)

Avec une telle intrigue, un bon réalisateur aurait pu faire du Serment de Pamfir une chronique sur le mode naturaliste. Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk la transforme en une fresque fascinante. On est d’abord frappé par la beauté de l’image. Elle est étrangère à toute esthétisation de la rusticité ou de la pauvreté (qui est le lot de la plupart des personnages). Est-ce parce que le cinéaste et son chef opérateur avaient pour référence Le Caravage ?

Cette beauté plastique relève d’une alchimie entre la lumière, les volumes et la matière (celle des couleurs notamment). Exemple : la terre dans laquelle s’enfonce Pamfir – il a trouvé un poste de foreur de puits – ressemble à une mer étale et compacte. Autre exemple : Pamfir et ses trois compagnons de contrebande portent chacun sur leur dos un gros caisson de couleur claire contenant la marchandise. Filmés courant à travers bois, entre chien et loup, ces quatre hommes faisant corps avec ces cubes dont l’éclat ressort dans la pénombre forment une cohorte très chorégraphique.

Même s’il reste proche d’une forme d’authenticité, le cinéaste n’hésite pas à décoller son action de la stricte réalité.

Cet effet relève aussi de la mise en scène. Tout comme l’image est splendide bien qu’évitant l’esthétisation, la mise en scène du Serment de Pamfir est inventive sans jamais tomber dans la virtuosité. Même s’il reste proche d’une forme d’authenticité, le cinéaste n’hésite pas à décoller son action de la stricte réalité, comme s’il instillait entre les deux un jeu – mot à prendre dans tous ses sens – favorisé par l’impression de liberté des mouvements (de la caméra comme des personnages).

Un jeu avec des figures classiques du cinéma, comme on le mentionnait plus haut avec le western. Ou comme dans la séquence où Pamfir est dérouillé par la bande du chef de la police corrompu. Située dans une sorte de hangar ou d’usine désaffectée, toujours parfaitement filmée, elle résonne avec nombre de films noirs ou thrillers made in Hollywood.

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La Malanka est le symbole de cette dimension comique, presque bouffonne, qui parcourt le film et fait songer au meilleur Kusturica, celui de ses débuts. (Photo : Condor Films.)

Avoir accordé à la fête de la Malanka, traditionnelle en Ukraine, une place importante n’est pas non plus anodin. La Malanka est un genre de carnaval, qui voit l’ordre social du village bousculé. Chacun porte un costume et un masque spectaculaires, et se glisse dans un rôle différent de celui qui est le sien d’ordinaire. Une révolution pour rire. La Malanka est le symbole de cette dimension comique, presque bouffonne, qui parcourt le film et fait songer au meilleur Kusturica, celui de ses débuts. Et du grotesque, le tragique n’est jamais très loin…

Le Serment de Pamfir est un film exubérant, qu’une première vision est loin d’épuiser. Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk y dépeint une société âpre, gangrenée par la corruption. Mais où l’esprit de résistance, et le courage qui l’accompagne, est aussi puissant, et peut se transmettre de père en fils.

Le théâtre de l’action, le Tchernivtsi, où le cinéaste a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans, est un creuset de populations mélangées (Ukrainiens, Roumains, Moldaves, Polonais, catholiques, juifs, orthodoxes…) et de cultures différentes. Le Serment de Pamfir semble s’être nourri de cette terre mosaïque pour en tirer sa richesse étourdissante. Ce que le cinéma a de plus vivant y palpite à chaque plan.

Cinéma
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