L’Hercule brésilien

Revenu de son enfer juridique, Lula a remporté dimanche soir l’élection présidentielle brésilienne. Son troisième mandat à la tête d’un pays fracturé s’annonce le plus âpre.

Patrick Piro  • 1 novembre 2022
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L’Hercule brésilien
© Un drapeau de soutien à Lula, le 29 octobre, à Brasilia. (Photo : EVARISTO SA / AFP.)

Et Lula l’emporta. Sur le fil, mais l’emporta. Dimanche 30 octobre à 18 h 44, heure du Brésil, dans le rugissement libératoire des siens, le candidat de la gauche dépasse enfin Bolsonaro dans le décompte égrené des votes. Son avance va s’accroître, parcimonieusement, pour s’achever sur un très ric-rac 50,9 %, contre 49,1 % pour le futur ex-président d’extrême droite, dont les sondages, une fois de plus, n’ont pas capté l’ultime poussée : la veille, Lula était donné à 53 %, voire plus.

Le voilà donc prêt à entamer un troisième mandat, le 1er janvier 2023. Il y a peu encore, on pensait bouclée, pour l’essentiel, une épopée politique hors norme, couronnée par huit années de présidence (2003-2011). Et que ses ennemis pensaient bien avoir pourrie sous l’infamie d’une condamnation à douze ans de prison, en avril 2018, pour de douteuses accusations de corruption.

Lula en fut finalement lavé. Celui qui avait laissé le pouvoir nanti de 86 % d’opinions positives est revenu de son enfer drapé de l’étoffe du chevalier blanc, le seul à même de terrasser Bolsonaro, de l’avis général à gauche. À 77 ans, Lula vient de mener à bien une mission herculéenne, quand on mesure ce qu’il aura fallu d’énergie et de sang-froid, dans une campagne marquée par la violence et les coups bas, pour grappiller les dixièmes de point qui épargnent quatre années supplémentaires de Bolsonaro au Brésil et au monde.

Lula s’apprête à vivre deux mois de chausse-trappes et de tentatives de déstabilisation d’ici à son investiture.

Et s’il n’y avait eu que cet Everest parmi les travaux qui l’attendent… « Le Brésil est de retour », lançait-il dimanche soir à une communauté internationale qui l’a choyé depuis 2003. Mais c’est bien « à la maison » que Lula est attendu. Crise économique, retour fulgurant de la faim pour des millions de Brésilien·nes, Amazonie en guérilla permanente sous les flammes et les tronçonneuses.

Mais, surtout, c’est d’un pays traversé par une énorme fracture qu’il hérite, à l’image de celle qui cisaille les États-Unis depuis Trump. La comparaison ne s’arrête pas là. Bolsonaro, mutique, n’avait toujours pas reconnu sa défaite lundi soir. Et Lula s’apprête à vivre deux mois de chausse-trappes et de tentatives de déstabilisation d’ici à son investiture.

Son habileté politique légendaire ne sera pas de trop pour gouverner, alors que le Congrès lui est majoritairement hostile, et pour apaiser la société brésilienne dont une moitié, acquise à un récit matraqué par les conservateurs et leurs extrêmes, en fait un chantre de la corruption et du dévoiement moral. « C’est le jour le plus important de ma vie », déclarait Lula en mettant son bulletin dans l’urne. Les quatre ans qui viennent s’annoncent aussi comme les plus âpres de sa carrière politique.

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Parti pris

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