L’anti-américanisme n’est plus ce qu’il était

L’impérialisme américain, renforcé par la guerre de Poutine, n’a pas changé de nature, il impose ses vues par sa puissance économique et l’hégémonie de sa monnaie.

Denis Sieffert  • 7 décembre 2022
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L’anti-américanisme n’est plus ce qu’il était
Joe Biden et Emmanuel Macron à Washington, le 1er décembreDC 2022. (Photo by Jim WATSON / AFP)
© Jim WATSON / AFP

L’élégance plutôt que la vulgarité, la diplomatie plutôt que la brutalité, et du homard au dîner plutôt qu’un hamburger sauce ketchup. Ou, pour le dire autrement, plutôt Joe Biden que Donald Trump : qui s’en plaindrait ? Sûrement pas Emmanuel Macron, qui a été reçu à Washington, du 29 novembre au 2 décembre, avec tous les égards dus à un président français, porte-parole autoproclamé d’une Europe confrontée à une nouvelle poussée de protectionnisme américain.

Il ne dédaigne pas ces moments qui lui renvoient l’image d’un grand de ce monde, à distance de la politique hexagonale. Mais sur le fond, quoi ? Pas grand-chose. Emmanuel Macron espérait amener Joe Biden à renoncer, en partie au moins, à son Inflation Reduction Act (IRA), un gigantesque plan de subventions à l’industrie américaine qui fait fi de toutes les règles du commerce international. C’est pour l’instant peine perdue. On parle pour l’industrie américaine d’aides jusqu’à dix fois supérieures à ce qu’admet la commission de Bruxelles pour les États de l’Union européenne.

Cette « distorsion de concurrence », comme on dit pudiquement, pourrait priver la France de dix mille emplois potentiels dans les secteurs de la transition énergétique. Mais l’IRA, c’est surtout une grossière invitation à la délocalisation pour des décennies. « Ce n’est pas conforme à l’amitié », a commenté Emmanuel Macron, très understatement… Le plus humiliant, dans cette affaire, est que l’Europe n’est, en fait, que la victime collatérale de la guerre économique entre les États-Unis et la Chine.

Malgré cela, il n’est plus possible aujourd’hui d’être anti-américain « par principe », comme l’ont été plusieurs générations de gauche. Plus de guerre du Vietnam, plus de napalm, plus de coups tordus en Amérique latine pour installer des Pinochet ou des Banzer. Plus de Henry Kissinger pour revendiquer, au nom de la « doctrine Monroe », un droit de propriété de l’Alaska à la Terre de feu. Et c’est heureux.

Avec Poutine, les États-Unis ont perdu le monopole de l’horreur.

Avec Poutine, les États-Unis ont perdu le monopole de l’horreur. C’est tout juste, aujourd’hui, si on ne leur reproche pas de ne plus jouer les gendarmes du monde, à Kaboul ou à Damas. D’ailleurs, Emmanuel Macron ne s’est pas privé de remercier ses hôtes pour l’aide massive qu’ils apportent à l’Ukraine, et d’en redemander. Et il n’a pas manqué de se féliciter de l’existence de l’Otan, dont il diagnostiquait en 2019 l’« état de mort cérébrale ». C’était il y a un siècle… Et qui l’en blâmerait ?

En vérité, nous n’avons jamais été à ce point dépendants de Washington. Poutine innocente les États-Unis de leurs turpitudes. On est très loin du désengagement du commandement intégré de l’Otan, décidé par de Gaulle en 1966. Et encore plus de la dissolution de cette organisation de guerre froide, souhaitée ici même tant de fois. L’impérialisme américain n’a pas changé de nature, mais il impose ses vues autrement, par sa puissance économique et l’hégémonie de sa monnaie.

On se souvient de la façon dont, en 2018, Trump a contraint les firmes européennes à quitter l’Iran, comme s’il s’agissait de ses sujets. Cela au nom d’un improbable principe d’extraterritorialité qui étend le pouvoir du président des États-Unis à toutes les multinationales qui réalisent leurs transactions en dollars. Total, Renault, PSA et quelques autres avaient dû s’exécuter pour ne pas voir le marché américain se fermer.

La guerre de Poutine renforce encore la puissance américaine et aggrave la dépendance européenne. Quelle alternative ? L’idée d’une position médiane entre « l’Est et l’Ouest », comme on disait autrefois, fait aujourd’hui horreur. La Russie de Poutine n’est plus l’URSS. Elle est capitaliste, et de la pire manière, antidémocratique et mafieuse, sauvage et impérialiste. Elle ne permet aucun équilibre, fût-ce celui de la terreur.

L’autre issue, la seule en vérité, c’est donc l’Europe. Mais on mesure aujourd’hui son retard et sa désunion politique et sociale. Tant qu’il n’y aura pas d’architecture de défense européenne, l’Otan restera l’ultime recours pour la Pologne, la Finlande et les pays baltes que Poutine inquiète fortement.

Les États-Unis possèdent pour le moment toutes les clés.

Puissance économique, puissance militaire, puissance énergétique grâce au gaz et au pétrole de schiste : les États-Unis possèdent pour le moment toutes les clés. Des clés détestables qui obligent l’Europe à filer droit, à rebours de ses intérêts sociaux et environnementaux. Ce ne sont pas les ronds de jambe de notre président à la Maison Blanche qui y changeront quelque chose. 

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