Mort suspecte à Fleury-Mérogis

Alassane Sangare, 36 ans, est décédé à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis jeudi 24 novembre. La thèse du suicide semble privilégiée par les autorités. La famille n’y croit pas.

Nadia Sweeny  • 5 décembre 2022
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Mort suspecte à Fleury-Mérogis
L'entrée de la prison de Fleury-Mérogis, en août 2022.
© Bertrand GUAY / AFP

Alassane Sangare avait 36 ans. Responsable équipe réseaux chez Bouygues Télécom depuis une dizaine d’années, marié et père de trois enfants, il avait été placé en mandat de dépôt suite à un problème de voisinage. Une série d’altercations avec des voisines l’avaient conduit en prison avec une rapidité qui surprend.

Placé en garde à vue le 18 novembre, il avait été déféré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis le lendemain en attente de son jugement, prévu pour janvier. Mais jeudi 24 novembre, entre 6 et 8 heures du matin, Alassane Sangaré décède dans sa cellule du bâtiment D5.

Le vendredi 25 au matin, la femme d’Alassane se rend au tribunal d’Evry pour une demande de parloir. Alors que le parquet a déjà été saisi des faits, personne ne l’informe de la mort de son mari. La famille n’est prévenue qu’aux environs de 15 heures. Deux policiers se rendent au domicile conjugal, annonçant le décès mais sans donner plus d’information.

Famille congédiée

La famille est sous le choc. Le soir même, elle décide de se rendre avec des amis devant la plus grande prison d’Europe pour obtenir des réponses. Des surveillants leur demandent de partir. Le lendemain matin à 8h30, la famille revient. Alors que des surveillants évoquent déjà la thèse du suicide, l’une des dirigeantes de la prison sort et les invite à quitter les lieux.

Sur un enregistrement que Politis s’est procuré, la dirigeante justifie le retard dans l’information donnée à la famille par cette phrase surprenante : « Nous n’avons pas de contact de la famille. » Pourtant, outre les demandes de parloir, la famille a reçu un appel trois jours plus tôt d’un agent de liaison de la maison d’arrêt, expliquant que tout allait bien mais qu’Alassane Sangare demandait des vêtements chauds.

Pour mieux comprendre les défauts de prise en charge des familles de personnes décédées en prison, lire cet article sur le site de l’OIP.

Altercation avec les surveillants ?

Lundi 28 novembre à 9h30, la direction de la maison d’arrêt reçoit enfin la famille. Dans la salle, le directeur adjoint, Renaud Lassince, accompagné du directeur du bâtiment D5 et du responsable des gardiens ainsi que de deux médecins, dont un psychiatre. Mais le petit groupe se montre peu loquace, visiblement gêné par la présence d’un avocat mandaté par la famille.

« Il y a eu une très forte réticence face à ma présence, ils ont d’abord refusé de me laisser entrer en me disant « si vous voulez être reçu, faites une demande officielle » » se souvient Me Rahmouni, qui a tout de même fini par assister à l’entretien.

Après avoir fait part de ses condoléances, le directeur adjoint aurait ajouté : « On ne sait pas ce qu’ils ont dans la tête. » Depuis le début, la thèse du suicide est avancée plus ou moins ouvertement. La gendarmerie l’affirme plus frontalement au moment où la famille rencontre le chargé de l’enquête, lundi après-midi.

Celui-ci aurait évoqué une altercation avec les surveillants pénitentiaires suite au comportement de M. Sangaré. « Il a tout cassé dans sa cellule », assure un gendarme. Le prévenu aurait alors été placé dans une geôle « moins équipée » mais dans laquelle il y aurait tout de même eu un téléphone. Ce qui exclut l’éventualité d’un placement en quartier disciplinaire.

Enquête ouverte

 Il n’y a rien de clair dans cette affaire.

D’après la famille et l’avocat, les gendarmes ont évoqué la thèse du suicide avec un fil téléphonique de 50 à 60 centimètres. Les gendarmes ont également évoqué la présence d’une béquille. Or Alassane Sangaré n’en avait pas avant d’arriver à Fleury-Mérogis. « Il n’y a rien de clair dans cette affaire, affirme l’avocat. Nous serons très attentifs aux éléments d’enquête. »  

Une autopsie a été effectuée par l’institut de médecine légale de l’Essonne qui n’a pas encore rendu son rapport détaillé mais a déjà informé le parquet d’Evry. Celui-ci affirme à Politis que l’autopsie a conclu à un « décès par asphyxie », sans donner plus de détails. Il précise qu’« une enquête en recherche des causes de la mort a été ouverte et confiée à la brigade de gendarmerie de Fleury-Mérogis. »

De son côté, la famille n’a pu voir le corps que le mercredi 30 novembre, soit six jours après son décès. Elle confirme : « Il n’y a aucune trace de strangulation. Si on se pend avec un fil téléphonique, ça laisse des marques. On a bien regardé : il n’y a rien ! » affirme l’une de ses trois sœurs.

Il n’était pas choqué par la prison. Il en connaissait les codes.

Pour la famille le suicide est impensable : « Il avait un travail, une femme, des enfants. Le choc carcéral ne tient pas : il avait déjà été quelques mois à Fleury quand il avait 19 ans et il savait qu’il n’allait pas rester. D’autant que trois jours plus tôt, l’agent de liaison nous a dit qu’il allait bien », ajoute-t-elle. Pour Maître Rahmouni qui suivait Alassane depuis longtemps, l’éventualité d’un choc carcéral est difficile à imaginer. « Il n’était pas choqué par la prison. Il en connaissait les codes. »

Déterminée à connaître la vérité, la famille a lancé un appel sur les réseaux sociaux pour recueillir des témoignages. Quelques détenus l’ont contactée et évoquent une altercation violente avec les matons que certains qualifient de « tabassage ». Contactée, la direction de la maison d‘arrêt de Fleury-Mérogis nous renvoie vers la direction de l’administration pénitentiaire. Celle-ci refuse de s’exprimer sur une enquête en cours et nous renvoie vers le procureur de la République.

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Société
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