Ces corps venus d’ailleurs

Les ascendants Mbappé, Dembélé, Tchouameni, Upamecano, Koundé et autres Varane n’auraient jamais pu venir, moins encore rester en France, sous le régime d’exception migratoire qui sévit désormais.

Nacira Guénif  • 4 janvier 2023
Partager :
Ces corps venus d’ailleurs
L'équipe de France, lors de la séance de tirs au but de la finale de la Coupe du monde de football, le 18 décembre 2022.
© JULIAN FINNEY / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP.

Avant que la défaite en finale ne ruine l’espoir d’un long dimanche de célébration, les footballeurs aux portes de la victoire en Coupe du monde ont accompli une œuvre décisive : exister politiquement. Leurs noms ont écorché plus d’une oreille et leur alignement a fait vaciller des regards blancs de rage.

Une frange jalouse de sa supériorité, prompte à confisquer à son avantage l’héritage d’une nation trop idéalisée, s’est sentie offensée. Si l’échec, si proche du but, a semblé lui donner raison, cet assemblage-là ne pouvant pas arracher le doublé, l’imaginaire qui l’incarne a transcendé l’instant.

Les Mbappé, Dembélé, Tchouameni, Upamecano, Koundé et autres Varane font résonner les sonorités de ce que la France est déjà devenue. Ces vice-champions du monde ne déparent pas, loin de là, aux côtés des Giroud, Griezmann, Rabiot, Lloris et Hernandez. Ils s’additionnent plutôt qu’ils ne se soustraient aux aspirations d’une jeunesse résolue à combattre le racisme à tous les étages de la maison France. Ils lui donnent raison !

Nous faisons face à des défis que seule relèvera l’ouverture de la maison France à une politique de l’altérité.

Cependant, quarante ans de durcissement des lois d’immigration révèlent un fait indéniable : les ascendants de ces champions n’auraient jamais pu venir, moins encore rester en France, sous le régime d’exception migratoire qui sévit désormais. Migrer ne doit plus être la règle, un droit universel, mais l’exception.

Pourtant, loin d’un grand remplacement fantasmatique, ces corps venus d’ailleurs signalent le grand dérangement subi chez eux, glissé au fond de leur maigre bagage. Plutôt que de vouloir les renvoyer là où des générations d’Européens se sont installées en colons, pour fuir la pauvreté, par goût de l’aventure ou par avidité, il importe de tirer les leçons de cet exode vers le Nord.

Legs hérité des bouleversements politiques et climatiques en cours, il nous interroge sur notre gouvernement de ces vies venues d’autres continents. Ces multitudes en mouvement incarnent notre dette envers l’espèce humaine. Exilé·es comme sédentaires, nous faisons face à des défis que seule relèvera l’ouverture de la maison France à une politique de l’altérité qui ne se paie plus de mots, mais affronte sa part d’injustice historique et assume d’y répondre avec courage.

Une politique d’immigration qui s’exempte de réparer les dommages commis et les morts gisant au fond des mers est coupable. Les arguments spécieux de sécurité ou de fermeté ajoutent à l’infamie. Cette politique piétine l’humanité dont elle se targue lorsqu’elle nie celle de quiconque accomplit au péril de sa vie un tel périple, et le punit d’y avoir survécu. Regarder en face ces visages, célèbres ou anonymes, trace le chemin de générosité et de responsabilité qu’il faut résolument ouvrir.

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !
Idées
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier
Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 
Entretien 10 décembre 2025 abonné·es

Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 

Il y a dix ans, lors de la COP 21, 196 pays s’engageaient dans l’accord de Paris à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour contenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Depuis, la climatologue ne ménage pas son temps pour faire de la vulgarisation scientifique et reste une vigie scrupuleuse sur la place des faits scientifiques.
Par Vanina Delmas
Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre