« Mes fragiles » : contre les adieux

Un beau livre de deuil de Jérôme Garcin, écrit après la mort de sa mère et de son frère.

Christophe Kantcheff  • 8 février 2023 abonné·es
« Mes fragiles » : contre les adieux
© Francesca Montovania/ Gallimard.

Mes fragiles / Jérôme Garcin / Gallimard, 103 pages, 14 euros.

En 2021, Jérôme Garcin a perdu, à six mois d’intervalle, sa mère et son frère. Du poids de ces morts cumulées et du chagrin sans fond qu’elles provoquent, l’écrivain a fait un livre. L’art ou la littérature sont les seuls espaces protégés (avec l’analyse) où, dans nos sociétés qui ont invisibilisé la mort et les marques du deuil, il peut en être véritablement question.

Garcin raconte ces disparitions non sous la forme d’une longue plainte ou d’un ample retour sur l’histoire familiale, mais au gré d’un texte bref, aussi abrupt que l’est le surgissement du vide quand meurent des êtres chers. C’est que, comme tout un chacun, il n’y était pas préparé – on ne l’est jamais. Même si son frère était handicapé mental et physique – terrassé par le covid – et sa mère avancée en âge, atteinte d’une ostéoporose aiguë qu’elle n’a jamais voulu traiter.

Ce français soigné que cultive Jérôme Garcin, ressemblant au maintien de soi que souhaitait garder sa mère.

Le livre est ramassé, mais les phrases, d’un classicisme assumé, multiplient les arborescences, s’allongent à loisir comme si elles voulaient retenir les défunts, redoutaient d’arriver au point final, synonyme d’adieu. Ce français soigné que cultive Jérôme Garcin, ressemblant au maintien de soi que souhaitait garder sa mère y compris dans la douleur, est une forme de pudeur, même si l’auteur exprime tout au long du texte sa peine et son amour.

Malédiction héréditaire

L’auteur conte les circonstances de leur fin et trace à coups de pinceau rapides et précis les portraits de sa mère et de son frère, qui s’adonnaient eux-mêmes à la peinture. « En peignant, Laurent se réinventait, et sans doute se sauvait. En peignant, maman, au contraire, se ressemblait. Les paysages qu’elle représentait avaient la grâce des jours heureux, ceux d’avant la disparition brutale de mon père et de mon jumeau, la douceur d’un temps arrêté, en plein été, sa saison préférée, la gaieté fugitive de la jeunesse espiègle. »

Le livre ne cesse de balancer entre forces de vie et puissance de la mort. À quoi s’ajoute une forme de malédiction héréditaire : la découverte, dans la famille, du syndrome de l’X fragile, déclenchant handicap mental, difficultés scolaires, anxiété sociale… D’où le titre du livre, doublement évocateur.

Mes fragiles n’est pourtant pas un livre de l’effondrement. Le fait même qu’il existe est un acte fort de résistance à l’insensé.

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Littérature
Temps de lecture : 2 minutes