« La semaine de 4 jours permettrait de faire reculer la précarité »

Pendant 6 mois, 60 entreprises au Royaume-Uni ont testé la semaine de 4 jours, avec des résultats prometteurs. Entretien avec Pierre Larrouturou, député européen du groupe Socialistes et démocrates, qui défend l’extension de cette expérimentation en France.

Lily Chavance  • 21 février 2023
Partager :
« La semaine de 4 jours permettrait de faire reculer la précarité »
« En France, la question du temps de travail est un sujet tabou. C'est un combat historique. » Pierre Larrouturou, en décembre 2020, au Parlement européen de Bruxelles.
© Martin Bertrand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

L’essai a débuté en juin 2022. Pendant six mois, plus de 60 entreprises et près de 3 000 salariés ont expérimenté la semaine de quatre jours au Royaume-Uni. Les conclusions de cette enquête menée par l’ONG 4 Day Week Global, en partenariat avec le groupe de réflexion Autonomy et des chercheurs de l’université de Cambridge et du Boston College, sont rendues publiques ce mardi.

Et le bilan est plus que positif. 56 entreprises ont annoncé poursuivre dans cette voie. Parmi elles, 18 affirment avoir définitivement adopté la semaine de 4 jours. Une réussite s’expliquant par les nombreux bénéfices apportés par ce système. Selon le rapport, aucune entreprise n’a été pénalisée. Les recettes ont même légèrement augmenté de 1,4 % pendant l’expérimentation.

Dans le même temps, le taux de stress et d’épuisement professionnel a diminué de 71 %, tout comme le taux de départ de l’entreprise qui a baissé de 57 %. Pierre Larrouturou, député européen du groupe Socialistes et démocrates, défend l’extension de cette expérimentation en France.

Quelles sont les motivations des entreprises qui ont pris part à cette expérimentation au Royaume-Uni et pourquoi sont-elles favorables à conserver cet aménagement ?

Pierre Larrouturou : Il y a plusieurs motivations à la semaine de quatre jours. La qualité de vie d’abord. C’est un sujet qui revient souvent notamment après la crise sanitaire qui a fait bouger les relations au travail. Beaucoup de personnes veulent un vrai travail, des revenus corrects, mais affirment que ce n’est plus la seule chose qui compte. Le covid a fait réfléchir sur les priorités de vie en parallèle du travail : famille, amis… Certains cherchent un nouvel équilibre, une meilleure qualité de vie y compris chez les chefs d’entreprise qui veulent éviter le stress et les burn-out.

La deuxième motivation concerne le recrutement. Nous vivons un moment paradoxal. Il y a encore près de 4 millions de français au chômage et de nombreux secteurs sont en tension avec des difficultés de recrutement. En restauration par exemple, le travail est fatigant avec des horaires souvent décalés. Une semaine de quatre jours avec un salaire équivalent permettrait de faciliter et d’encourager le recrutement dans ces secteurs.

On estime que 1,6 million d’emplois peuvent être créés grâce à ce système. C’est donc 1,6 million personnes supplémentaires qui cotiseraient.

En France, dans les années 90, 400 entreprises ont expérimenté cette mesure. On estime que 1,6 million d’emplois peuvent être créés grâce à ce système. C’est donc 1,6 million personnes supplémentaires qui cotiseraient. Voilà une bonne façon d’équilibrer les retraites ! Soit on diminue le niveau de vie pour tout le monde, c’est la solution comptable et dangereuse proposée par le gouvernement aujourd’hui. Soit on passe à la semaine de quatre jours sans baisse de salaire.

Justement, alors que le gouvernement souhaite augmenter le temps de travail, comment imposer cette thématique dans le débat public ?

Il faut relancer le débat, c’est tout l’intérêt du rapport. 92 % des entreprises qui l’ont expérimenté veulent rester à ce modèle. C’est aussi le cas en France pour les entreprises qui l’ont testé. Par exemple, l’entreprise Mamie Nova a mis en place la semaine de quatre jours. Deux ans après, le médecin du travail a fait le bilan. Et les résultats sont considérables. L’absentéisme a fortement reculé, les arrêts maladies également. C’est un bilan positif pour les conditions de travail des salariés mais également pour l’entreprise elle-même.

En France, la question du temps de travail est un sujet tabou. C’est un combat historique ! Déjà, lors du passage à la semaine de 40 heures au moment du Front Populaire, l’Église et la CGT se sont battues et ont mené des jours entiers de manifestations. Obtenir un jour de repos était un vrai combat, de nombreux opposants pensaient qu’un tel projet ne serait pas possible. La réduction du temps de travail est un mouvement historique. Il faut l’avouer : on travaille trois fois moins que nos grands-parents.

Aujourd’hui, le débat sur les retraites doit permettre de relancer cette question. Ceux qui veulent imposer la réforme n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise. Ils ne savent pas ce que c’est la fatigue du boulot, les robots et les ordinateurs remplacent les salariés. Il faut refaire de la question du temps de travail une priorité.

Il faut refaire de la question du temps de travail une priorité.

Soit on encourage un vrai travail, un vrai revenu et du temps pour vivre soit on accepte que 4 millions de gens soient au chômage et que ceux qui travaillent, le font dans de mauvaises conditions. Aujourd’hui le partage du travail est binaire. Certains sont à 40 h et d’autres 0 h. Les seuls qui en profitent sont les actionnaires.

En entreprise, les tentatives de négociations se soldent souvent par la proposition d’aller voir ailleurs. La semaine de 4 jours permettrait de faire reculer la précarité notamment des femmes avec des emplois à temps plein. Cela encouragerait aussi une meilleure qualité de vie avec une répartition des tâches domestiques au sein du foyer si tout le monde adoptait ce modèle de travail.

Comment les petites entreprises peuvent supporter ce nouveau modèle, notamment ces nouveaux recrutements ?

Dans l’expérimentation menée en Angleterre, il y a des entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs. Pour les petites entreprises nous défendons l’idée qu’en France, le passage à quatre jours doit s’accompagner de la création d’au moins 10 % d’emplois en CDI. En contrepartie, cela pourrait engendrer la fin de tout ou partie des cotisations chômage.

Nous exigeons deux contraintes dans cette mise en œuvre. Nous voulons maintenir les salaires et ne pas faire augmenter le prix des productions. En France, on consacre des sommes colossales, une dizaine de milliard d’euros, pour éviter les conséquences du chômage. Cet argent pourrait servir à créer de l’emploi. Avec Michel Rocard, à la fin des années 1990, nous avons réussi à obtenir une loi d’expérimentation. Alors, 400 entreprises et 17 000 salariés ont pu passer à la semaine de quatre jours sans voir leur salaire diminuer.

La formule est fiable et équilibrée si l’entreprise crée au moins 10 % d’emplois nouveaux en CDI.

L’équilibre était trouvé car cela entraîne une baisse du nombre de chômeurs contre une augmentation du nombre de personne qui paient la TVA, les impôts et cotisent. Patrick Artus, un économiste, avait étudié le système macro-économmique de cette proposition. Ce sont ses mots : « Il tient ». La formule est fiable et équilibrée si l’entreprise crée au moins 10 % d’emplois nouveaux en CDI.

Avec cette mesure, faut-il repenser les modes d’organisation du travail ?

Forcément, il faut se réorganiser. Beaucoup d’entreprises ne vont pas fermer le jeudi soir. La production doit continuer au moins cinq jours par semaine. Chez Mamie Nova, par exemple, le travail a été enrichi. Il y a eu un système de formation qui a permis aux différentes catégories de travailleurs de se former à de nouveaux métiers.

L’ouvrier s’est formé au travail du contremaître pour pouvoir prendre les commandes. Les tâches ont été réparties, des postes ont été créés. Certains sont montés dans la hiérarchie avec une évolution des salaires et des responsabilités. Ce réaménagement du travail permet une diversification des tâches et donc un attrait plus fort pour le travail réalisé.

Ça parle aux ouvriers, mais également aux commerciaux et dans tous les métiers où l’on ne compte pas ses heures.

Tout le monde souhaite profiter de ce modèle. Ça parle aux ouvriers, mais également aux commerciaux et dans tous les métiers où l’on ne compte pas ses heures. C’est pour cela qu’il est plus juste de parler de semaine de 4 jours plutôt que de semaine de 32 h.

Gabriel Attal a proposé la semaine de 36 h en quatre jours : est-ce le début d’une réflexion qui va dans le sens de cette mesure ?

Ça donne l’impression que le gouvernement ne sait pas où aller. C’est comme les champignons, il faut savoir identifier les bons et les mauvais : si la semaine de 4 jours rallonge les journées, ça n’est pas utile. Parmi les salariés des 400 entreprises qui ont testé ce modèle en France, seuls deux employés ont dit être en faveur de cette proposition. La majorité des salariés préfère les quatre jours et les 32 h qui garantissent les trois points de ce système : qualité de vie, facilité de recrutement et création d’emplois.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Travail
Temps de lecture : 7 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées
Travail 15 novembre 2024 abonné·es

« Métiers féminins » : les « essentielles » maltraitées

Les risques professionnels sont généralement associés à des métiers masculins, dans l’industrie ou le bâtiment. Pourtant, la pénibilité des métiers féminins est majeure, et la sinistralité explose. Un véritable angle mort des politiques publiques.
Par Pierre Jequier-Zalc
Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement
Social 9 novembre 2024

Jeu vidéo : un tiers des effectifs du studio français Don’t Nod menacé de licenciement

Les employés du studio sont en grève. Ils mettent en cause une gestion fautive de la direction et exigent l’abandon du plan, révélateur des tensions grandissantes dans le secteur du jeu vidéo.
Par Maxime Sirvins
Chez ID Logistics, un « plan social déguisé » après le départ d’Amazon
Luttes 29 octobre 2024 abonné·es

Chez ID Logistics, un « plan social déguisé » après le départ d’Amazon

Depuis plus de deux semaines, les salariés d’un entrepôt marseillais d’une filiale d’ID Logistics sont en grève. En cause, la fermeture de leur lieu de travail et l’imposition par l’employeur d’une mobilité à plus de 100 kilomètres, sous peine de licenciement pour faute grave.
Par Pierre Jequier-Zalc