Colette, glorieuse émancipée

Le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Colette est l’occasion de confirmer l’importance littéraire de l’autrice du Blé en herbe.

Christophe Kantcheff  • 1 mars 2023 abonné·es
Colette, glorieuse émancipée
© Photo12 via AFP.

Le blé en herbe et autres récits / Colette / Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 321 pages, 65 euros (jusqu’au 30 juin 2023, ensuite 71 euros).

Jusque-là peu réceptif au talent de Colette, André Gide lui formula ainsi son enthousiasme, en 1920, pour Chéri, le livre qu’elle venait de faire paraître : « Moi ce que j’aime surtout dans votre livre, c’est son dépouillement, son dévêtissement, sa nudité. Déjà je voudrais le relire – et j’ai peur : Si j’allais le trouver moins bien ! Vite, envoyons cette lettre avant de la jeter au tiroir. » Drôle de façon de faire des compliments ! Ce qui se lit chez Gide est finalement un sentiment qui a longtemps caractérisé le regard porté sur l’écrivaine Colette : la condescendance.

Sans doute est-ce parce que Colette est une femme. Mais il faut être plus précis. Ainsi que le note Pierre-Louis Rey dans l’excellente Histoire de la France littéraire (parue aux PUF en 2006) : « Sa carrière au music-hall et ses divorces ont mieux fait connaître Colette du grand public que ses romans. Dès qu’une femme invente sa vie, on s’intéresse moins à son œuvre qu’à elle-même. » Il ajoute : « Mêlant sans a priori de genres romans, récits, nouvelles et souvenirs, Colette a contribué sans rechigner à la confusion. »

Les célébrations peuvent servir à faire le point. Si le cent cinquantième anniversaire de sa naissance est l’occasion de relire, de lire vraiment ou de découvrir l’œuvre de Colette, alors il n’y aura plus de doute sur la place qu’elle tient dans notre patrimoine littéraire : elle figure au premier plan. Ses titres en livre de poche abondent et occupent pas moins de quatre tomes en édition de la Pléiade.

Les chefs-d’œuvre parmi ses romans, récits et nouvelles sont si nombreux qu’ils s’imposent d’eux-mêmes.

Pour l’occasion, cette même prestigieuse collection propose une anthologie de textes de Colette, intitulée Le Blé en herbe et autres récits, concoctée par Antoine Compagnon, qui avoue avoir eu l’embarras du choix. « Mais les chefs-d’œuvre parmi ses romans, récits et nouvelles sont si nombreux qu’ils s’imposent d’eux-mêmes », écrit-il dans sa préface, tout en soulignant qu’il aurait aimé y adjoindre certains des articles qu’elle fit paraître dans la presse.

Notamment le recueil Dans la foule, qui, selon lui, marque la naissance d’un style de reportage moderne, « vu du bas, du point de vue des spectateurs et non des acteurs ». Ajoutons que Colette, comme Blaise Cendrars avec Moravagine (1926), a aussi défriché un autre genre, que bien plus tard on a baptisé autofiction, avec La Naissance du jour, publié en 1928 (dont on ignore sans doute qu’il a été adapté pour la télévision par Jacques Demy, en 1980).

Un choc pour la bourgeoisie

Comportant notamment Mitsou (que Proust admirait), Chéri, La Fin de Chéri, Sido, La Chatte et L’Étoile Vesper, cette anthologie de la Pléiade s’ouvre sans surprise sur Claudine à l’école, le premier volet et le meilleur de la série des Claudine, à l’origine (1900) signé par le seul Willy, son mari, qui exploitait sans vergogne le talent naissant de sa femme.

Dans sa préface, Antoine Compagnon relève que Claudine à l’école fit scandale et en donne les raisons. Ce fut le premier mais non le dernier : plusieurs des livres de Colette déclenchèrent l’ire de lecteurs au point que leur parution en feuilleton dans les journaux (qui anticipait la publication en volume) fut interrompue. Ce n’était pas une stratégie de la part de l’autrice. « Il semble qu’elle n’ait jamais mesuré ce que sa vie et son œuvre […] pouv[aient] avoir de choquant pour les usages bourgeois », écrit Compagnon.

Ainsi du Blé en herbe (1923), œuvre célébrissime, où non seulement elle traite des amours adolescentes mais aussi d’une relation charnelle entre une femme et un mineur. L’écriture de Colette y est en outre particulièrement splendide. Exemple : « Une fumée de pluie impalpable encensait l’air et adhérait à la peau sans la mouiller. »

Ainsi également du Pur et l’impur (1932), un livre beaucoup moins connu, qui portait pour titre initial Ces plaisirs. À savoir ceux des drogues et du sexe sous leur forme addictive, quelles que soient les orientations sexuelles des personnages, leur genre étant aussi fluctuant. Ce texte éminemment singulier tire vers l’abstraction tout en étant très expressif. Il témoigne d’une impressionnante émancipation littéraire et existentielle. Celle de la grande Colette.


À lire également 

Colette, Gérard Bonal et Frédéric Maget (dir.),
Cahier de l’Herne, L’Herne, 256 pages, 33 euros.
Colette en guerre 1939-1945, Bénédicte Vergez-Chaignon, Flammarion, 334 pages, 21,90 euros.
Sidonie Gabrielle Colette, Emmanuelle Lambert, Gallimard, 216 pages, 29 euros.


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Littérature
Temps de lecture : 4 minutes