Grèce, un État qui déraille

La collision de deux trains ayant fait au moins 57 victimes à Larissa, en Grèce, n’est pas qu’une affaire d’erreur humaine : elle montre la vétusté d’un réseau ferroviaire d’un pays qui s’est vu imposer ces dernières années une violente cure d’austérité et des privatisations à tour de bras.

Patrick Piro  • 8 mars 2023
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Grèce, un État qui déraille
Des fleurs à l'entrée d'une gare grecque le 8 mars 2023, lors d'une grève des trains de 24 heures suite à l'accident de Larissa.
© COSTAS BALTAS / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP.

Ainsi va la vie, pour les lampistes : le chef de gare de Larissa risque la prison à perpétuité, directement impliqué dans la mort d’au moins 57 personnes, à la suite d’une collision frontale entre un train de voyageurs et un convoi de marchandises circulant sur la même voie le 28 février dernier. Pour le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, la sanction pourrait être circonscrite à un échec dans sa tentative d’être réélu lors des élections du 9 avril.

Le premier a commis une erreur d’aiguillage, sur la ligne Athènes-Thessalonique. Le second aura tout le mal du monde à minimiser les fautes de son gouvernement tant elles sont criantes. Après avoir imputé le drame à une « erreur humaine », Mitsotakis a reconnu qu’il ne serait pas possible de s’en tenir à cette explication.

Les alertes des syndicats, dénonçant un risque de sécurité grandissant, ont été balayées par la direction.

Même s’il lui aura fallu cinq jours, il a demandé « pardon » à ses concitoyen·nes pour ce drame ferroviaire, le pire de l’histoire de la Grèce, et saisi la Cour suprême pour en solliciter une enquête « prioritaire » et au niveau « le plus élevé ». D’ores et déjà, après le lampiste, de trop évidents coupables se profilent dans les propos du dirigeant conservateur : les entreprises Hellenic Train et Ose, respectivement exploitante des chemins de fer grecs et gestionnaire du réseau ferroviaire.

Piston d’un député ? Manque de personnel ? Le chef de gare recruté par Hellenic Train était un ancien bagagiste, collé aux manettes après trois mois de formation seulement, et sur une ligne à forte circulation. Manettes, au sens propre : la signalisation du réseau ferroviaire grec fonctionne… manuellement. Ose aurait dû moderniser son système depuis des années, mais les alertes des syndicats, dénonçant un risque de sécurité grandissant, ont été balayées par la direction.

Aussi, à supposer que la Cour suprême ait les mains libres pour accéder au niveau « le plus élevé », elle devrait s’attarder longuement sur le gouvernement : Ose est une entreprise publique, et le ministre des Transports, il y a quelques semaines à peine, dénonçait comme une « honte » les allégations sur l’insécurité des chemins de fer grecs. Il a démissionné.

Le rail, mode de transport peu cher, est celui des classes modestes. Les rames, le 28 février, étaient pleines d’étudiants de retour de vacances. Et la jeunesse domine parmi les milliers de personnes criant leur colère dans la rue depuis l’accident.

Leur religion est faite : le drame de Larissa, c’est celui de la négligence des autorités, de la corruption qui les gangrène ainsi que des privatisations qui les séduit tant. Et revoilà l’ombre de la terrible crise des années 2010. Elle avait conduit la Grèce en faillite à accepter la tutelle de la fameuse troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international –, qui lui a imposé une violente cure d’austérité et des privatisations à tour de bras.

« Les privatisations tuent ! »,  clame la rue en Grèce. Il sera difficile de n’y voir qu’un slogan rageur.

L’entreprise ferroviaire nationale de l’époque en a fait les frais, démantelée et désorganisée, donnant naissance entre autres à Hellenic Train, propriété d’intérêts italiens peu empressés d’y investir.
Et à sa décharge, l’État grec, sorti rincé du collimateur de la Commission de Bruxelles depuis l’été 2022 seulement, a cruellement manqué de moyens pour s’attaquer à la vétusté du réseau.

Aussi, au-delà de nouveaux haut-le-cœur prévisibles sur la « mauvaise utilisation » des fonds publics et des subventions communautaires, l’Union européenne devrait avoir la décence de tirer un bilan social, économique et écologique honnête du remède de percheron qu’elle a fait subir à la Grèce depuis quinze ans. « Les privatisations tuent ! »,  clame la rue en Grèce. Il sera difficile de n’y voir qu’un slogan rageur.

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