« Le militantisme m’a permis de sortir de la bulle d’entre-soi »

Lola Keraron, « agro déserteuse » tire le bilan de cette nouvelle dynamique de vie et dresse un panorama de stratégies post-bifurcation.

Politis  • 9 mars 2023
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« Le militantisme m’a permis de sortir de la bulle d’entre-soi »
Des manifestants écologistes, à Wiesbaden en Allemagne, en 2019.
© Folco Masi / Unsplash.

Vous avez peut-être entendu parler de notre appel à déserter, lors de la remise de diplômes à AgroParisTech, en mai dernier. Avec plusieurs ami·es, nous partions du constat que notre école forme à des métiers qui provoquent des ravages écologiques et sociaux plutôt que de les arrêter.

Ces postes de cadres supérieurs servent les intérêts d’une minorité de personnes privilégiées en exploitant la majorité, en particulier les femmes et les pays du Sud. Notre objectif était de questionner nos camarades de promotion et de leur donner envie de refuser les jobs nuisibles, pour trouver d’autres voies. Je ne m’étais pas préparée à un tel buzz et déferlement médiatique à la suite de la mise en ligne de la vidéo.

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Que s’est-il passé depuis un an ? À mes yeux, la désertion repose sur deux piliers : favoriser la reproduction de la vie (à travers des activités agricoles et de soin, par exemple) et nous soulever face aux machines qui la détruisent. Personnellement, après le discours, je suis partie plusieurs mois vivre dans des lieux collectifs.

Je voulais à la fois me réapproprier des savoirs de subsistance, qui permettent de nous nourrir, nous soigner et nous loger avec les matières autour de nous, et continuer à mener des activités militantes autour de la désertion et des luttes paysannes, comme les Soulèvements de la Terre.

De Notre-Dame-des-Landes au plateau de Millevaches en passant par le Tarn, j’ai eu un aperçu du foisonnement d’alternatives et de luttes en milieu rural. Depuis septembre, j’écris dans une revue indépendante en écologie, Silence (qui partage chaque mois de nombreuses pistes pour bifurquer), et je continue à m’investir dans des luttes paysannes, tout en me formant à l’herboristerie.

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Que devient cette dynamique de désertion ? Avec plusieurs « agros » du discours – comprendre ceux qui ont participé au fameux discours de remise des diplômes –, nous sommes intervenu·es auprès d’étudiant·es dans des écoles d’ingénieurs et un lycée agricole. Nous avons organisé une soirée en octobre dernier à Centrale Supélec, sur le plateau de Saclay (Essonne), pour témoigner et partager des ressources qui nous ont aidé·es à sortir de la voie toute tracée, qui a réuni près de 300 personnes.

Je tiens beaucoup à jeter des ponts entre les luttes et les formations élitistes, notamment celle d’ingénieur.

Je tiens beaucoup à jeter des ponts entre les luttes et les formations élitistes, notamment celle d’ingénieur. Car c’est le militantisme qui m’a permis de sortir de la bulle d’entre-soi dans laquelle nous sommes enfermé·es pendant nos études, et de prendre conscience de nombreuses injustices et oppressions provoquées par ce système capitalisme industriel.

Depuis ce discours, j’ai rencontré deux autres organisations qui cherchent à renforcer cette dynamique de désertion. L’association Vous n’êtes pas seuls accompagne des personnes surdiplômées désireuses de quitter leur job et de dévoiler ce qu’elles ont vu de l’intérieur.

Le collectif Les Désert’heureuses met en place des outils d’entraide pour déserter, intervient dans les écoles d’ingénieurs et diffuse des témoignages. Il a notamment organisé des rencontres en septembre dernier pour s’entraider, s’organiser et faire naître un réseau de désertion. Je fais le lien entre notre groupe du discours et ces deux organisations, afin de nous coordonner pour partager nos idées à travers des textes, interventions, rencontres, podcasts et projets.

Et pour la suite ? Plusieurs groupes locaux ont émergé, à Marseille, Lyon ou Saclay, par exemple. Certains prévoient d’organiser des rencontres régionales Désert’heureuses, et d’autres commencent, avec l’initiative Reprises de savoirs, à organiser une « autre rentrée » qui irait perturber joyeusement la prochaine rentrée scolaire dans plusieurs villes de France. Si vous souhaitez rejoindre une de ces dynamiques, n’hésitez pas à nous contacter (1) ! 

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agros.bifurquent@protonmail.com

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Carte blanche

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