Macron, l’Africain

En pleine réforme des retraites, le président français misait sur une tournée étrangère pour se donner de l’air. Mais si l’Afrique fut longtemps terre de prédilection pour redonner du lustre à la fonction, c’est peu dire que ce n’est plus le cas.

Denis Sieffert  • 8 mars 2023
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Macron, l’Africain
Emmanuel Macron et Felix Tshisekedi, le président de la République démocratique du Congo, à Kinshasa, le 4 mars 2023.
© LUDOVIC MARIN / AFP.

C’est un classique de la Ve République : quand tout va mal à l’intérieur, le président se réfugie dans ce que les gaullistes appelaient le « domaine réservé ». Rien de tel donc qu’un bon déplacement à l’étranger. Et l’Afrique fut longtemps terre de prédilection pour redonner du lustre à la fonction. C’est peu dire que ce n’est plus le cas.

En quatre jours, Emmanuel Macron vient d’en faire l’amère expérience. Au Gabon, il s’est fait tancer par l’opposition, qui l’a accusé d’être venu adouber Ali Bongo à quelques mois de l’élection présidentielle. Au Congo-Brazzaville, il a dû endurer sans broncher les piques du dictateur Denis Sassou-Nguesso, qui lui a reproché de passer en coup de vent.

Et le pire est venu de la République démocratique du Congo, où l’on a mal pris que le président français n’ose pas nommer le voisin rwandais, coupable d’armer et de financer les rebelles du M23. Un groupe terroriste qui fait régner la terreur dans l’est du pays. Cette étape, la plus pénible du voyage présidentiel, montre d’ailleurs toute la difficulté de l’exercice.

C’est cela, l’Afrique, pour un président français : le continent de tous les fantômes du passé.

Comment dénoncer clairement l’autocrate rwandais Paul Kagamé, qui rêve de mettre la main sur le Kivu, la province orientale du Congo, si riche en minerais, quand la France n’en finit pas d’expier sa lourde responsabilité dans le génocide de 1994 ? C’est cela, l’Afrique, pour un président français : le continent de tous les fantômes du passé.

Il ne peut se rendre au Gabon sans que l’on se souvienne que la France a installé la dynastie tyrannique et corrompue des Bongo, père et fils. Il ne peut aller à Brazzaville sans tomber dans les rets du despote Sassou-Nguesso, sorti lieutenant de nos écoles militaires, grand ami de Giscard, et qui a livré les gisements pétroliers du pays à Elf, l’ancêtre de Total.

Un personnage revenu au pouvoir en 1997 par un coup d’État dans la grande tradition de la Françafrique, et qui est aujourd’hui dans le collimateur de la justice dans le cadre de l’affaire des « biens mal acquis », ces biens immobiliers achetés avec des fonds publics.

On a beau ne pas être trop délicat, la photo de famille est un mauvais moment à passer. Quand ce n’est pas l’ombre de Foccart, l’âme damnée de De Gaulle, c’est celle de Giscard. C’est bien pourquoi l’étape la moins pénible dans ce long chemin de croix fut finalement l’étape angolaise, où Macron a pris part à un forum agricole.

Là, dans cette ancienne colonie portugaise, il a pu parler business. Puisque tel était le but officiel de son voyage : troquer l’uniforme de gendarme déchu contre le costume d’homme d’affaires. Sans tout de même perdre de vue, en dépit de vertueuses dénégations, que l’Angola est l’un des gros producteurs de pétrole du continent.

Le paradoxe de cette tournée africaine, c’est que Macron est allé là où il peut encore aller. On sait le président persona non grata au cœur de ce qui fut le pré carré français, au Mali et au Burkina. Le lieu de ce que l’essayiste Rémi Carayol a appelé « le mirage sahélien » (1), après l’échec des opérations Serval et Barkhane, lancées par François Hollande pour éradiquer les groupes jihadistes.

1

Le Mirage sahélien, La Découverte, 2023.

Aujourd’hui, des juntes au pouvoir ne se privent pas d’instrumentaliser le ressentiment antifrançais pour accueillir à bras ouverts les tueurs à gages du groupe russe Wagner. En dix ans, l’influence française au Mali a été réduite à néant. Si Macron n’a été dans cette affaire que l’héritier malheureux de Hollande et de Foccart, il n’est pas exempt de reproches.

Passons sur les gaffes commises à Kinshasa, où il n’a pu s’empêcher d’administrer à ses hôtes quelques leçons de morale. Il est surtout coupable d’avoir, par sa réforme de la haute fonction publique, affaibli la diplomatie française au moment où la France aurait le plus grand besoin d’ambassadeurs menant une pédagogie patiente, là où la mémoire coloniale est à vif.

Rien ne sert de proclamer que « l’ère de la Françafrique est révolue » quand la réalité dément le discours.

Rien ne sert de proclamer que « l’ère de la Françafrique est révolue » quand la réalité dément le discours. Ce n’est pas seulement le passé qui résiste, c’est le présent qui est têtu. La survivance du franc CFA est toujours ressentie comme un lien incestueux avec l’ancienne puissance coloniale. Total envisage toujours d’exploiter de vastes champs gaziers, au mépris de l’environnement et des pêcheurs locaux.

Et puis, il y a moins visible. Les comportements et les mœurs sordides de certains expatriés. Une réalité dénoncée par le journaliste d’Afrique XXI, Michael Pauron (2). Invisible de chez nous, mais bien visible aux yeux des Africains.

2

Les Ambassades de la Françafrique, Lux éditeur. 2022.

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