Mudhoney : l’art de cogner avec humour

Trente-cinq ans après son premier disque, le groupe américain garde une ligne dure et acérée dans le son comme dans le propos.

Jacques Vincent  • 29 mars 2023 abonné·es
Mudhoney : l’art de cogner avec humour
Mudhoney, une énergie brutale et frontale, une tension souvent poussée au bord de la rupture.
© Emily Reiman.

Plastic Eternity / Mudhoney / Sub Pop, Modulor Music.

Mudhoney est-il le dernier rescapé du grunge ? Sa présence active aujourd’hui peut rendre la question tentante, mais ce serait oublier la situation particulière de ce groupe, pionnier dans le développement de la scène musicale de Seattle dans les années 1980 qui va conduire au grunge, sans lui-même faire réellement partie du mouvement.

Il est plus intéressant de rappeler que sa principale influence a été le punk-rock des années 1970, auquel se sont ajoutés le rock garage des années 1960 et le rock underground bruitiste américain des années 1980. Sa musique est le résultat de toutes ces influences tout autant que de sa façon de travailler collectivement à partir des ébauches d’idées apportées par les uns et les autres.

En résumé, Mudhoney, c’est cela : les coups de boutoir incessants de la batterie de Dan Peters auxquels répondent les attaques tranchantes de la guitare de Steve Turner, le sourd grondement souterrain continu de la basse de Guy Maddison, un jour décrit par ses camarades comme un croisement entre le bassiste des Stranglers et celui de Black Sabbath, et le chant exaspéré de Mark Arm.

Mais ce qui compte surtout, c’est la façon dont ces éléments se fondent en un seul pour former un son dur, brûlant et compact. Une énergie brutale et frontale, une tension souvent poussée au bord de la rupture. Un art de la compression qui logiquement amène le groupe à privilégier les formats courts.

Art de la compression

À première vue, Mudhoney peut sembler afficher une attitude just for fun. Pourtant, sans avoir l’air d’y toucher, c’est bien un regard sur le monde d’aujourd’hui qu’il porte au fil des chansons. Un regard qu’un morceau comme « Black Wire » pourrait résumer avec ces mots : « Tout le monde est devenu aveugle / Nous avons tous perdu la tête / Qu’est-ce qui nous bouffe de l’intérieur ? »

On verra ainsi abordées la frénésie productrice et consumériste dans « Cascades of Crap » (Cascades de merde), la pollution plastique dans « Plasticity » (Plasticité), la place des travailleurs dans le monde capitaliste dans « Human Stock Capital » (Stock humain du capital) ou encore la dégradation climatique dans « Cry Me an Atmospheric River » (Pleure-moi une rivière atmosphérique), titre en clin d’œil à ce standard du jazz qu’est « Cry Me a River ».

Preuve aussi que Mudhoney n’est pas dénué d’humour, ce que confirme un titre comme « Tom Herman’s Hermits », une étonnante adresse à l’ancien bassiste de Pere Ubu doublée d’une plaisanterie autour du groupe Herman’s Hermits notamment célèbre pour son hit de 1966, « No Milk Today ». Tout cela en fait évidemment un groupe pratiquement parfait.

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !
Musique
Temps de lecture : 3 minutes