Provocation nucléaire

La loi d’accélération de la filière nucléaire est arrivée à l’Assemblée nationale. Et tout se passe comme s’il était impossible d’aborder la question sous un angle rationnel.

Pierre Jacquemain  • 15 mars 2023
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Provocation nucléaire
La centrale nucléaire d'Anvers (Antwerp), en Belgique.
© Nicolas HIPPERT / Unsplash

Il y a des signaux qui ne trompent pas. Deux d’entre eux risquent de ne pas passer inaperçus. Voire de susciter de vives réactions. Alors que l’examen du texte sur le nucléaire est arrivé à l’Assemblée nationale cette semaine, la suppression de l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % de la production électrique française et l’abrogation de la limite fixée à 63 gigawatts de puissance pour le parc nucléaire français – décidés sous le quinquennat de François Hollande – résonnent comme une provocation.

Le gouvernement dit en substance que les responsabilités de la crise énergétique que nous traversons sont imputables à ses prédécesseurs, et en particulier aux écologistes – qui ont œuvré pour la fermeture de la très vieille centrale de Fessenheim. Les écologistes : la cible permanente du gouvernement et de l’extrême droite. Alors qu’ils n’ont jamais eu le pouvoir, ils sont responsables de tout. Rien de moins.

La rapporteuse du texte sur la relance du nucléaire, la députée Renaissance Maud Bregeon, assume sa bataille auprès du Monde : « On adresse un message politique fort pour assumer la relance du nucléaire. Il faut saisir la balle au bond et ne pas s’excuser d’être pro-nucléaire », lâche-t-elle. Ainsi le débat se résume-t-il à pro et anti-nucléaire.

Peu importent les faramineux coûts économiques et écologiques qu’engendrerait la relance de la filière ; peu importe l’impact de la construction des six nouveaux réacteurs EPR 2 alors que le premier est l’image même du fiasco de la filière – démarrage prévu en 2024, au lieu de 2012, pour une facture de 19,1 milliards d’euros, contre 3,4 milliards budgétés au lancement ; peu importe que les énergies renouvelables soient bien plus concurrentielles ; peu importe encore l’obscène pari sur la gestion des déchets, que l’on réglera, comme poussière sous le tapis, en les enfouissant sous terre alors que certains resteront radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années, cadeau aux générations futures.

L’éolien-bashing, le dénigrement du solaire et les hostilités contre le photovoltaïque ou l’hydraulique se sont imposés dans le débat public.

Qu’importe Fukushima, qu’importe Tchernobyl. À quoi bon ressasser les vieilles histoires du passé, aussi funestes soient-elles ? Qu’importe l’expertise technique et scientifique, indépendante et transparente, de la sûreté du nucléaire.

Et puisque tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, la suppression de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est ainsi rendue possible sans qu’aucune concertation ait été menée. Au point que l’ancien directeur général adjoint de l’IRSN, Thierry Charles, a dénoncé sur France Inter une décision « opaque, brutale, précipitée ».

Tout se passe comme s’il était impossible d’aborder la question du nucléaire sous un angle rationnel. L’éolien-bashing, le dénigrement du solaire et les hostilités contre le photovoltaïque ou l’hydraulique se sont imposés dans le débat public alors que les pénuries d’électricité, avec la guerre en Ukraine, se faisaient jour. Ainsi, l’indépendance énergétique ne pourrait être atteinte que par le seul recours, toujours aussi massif, au nucléaire.

Et si le gouvernement, accompagné par les lobbys, semble avoir regagné du terrain dans la bataille de l’opinion, il reste que la France, drapée dans sa superbe nucléaire, s’illustre comme l’une des rares nations au monde à faire aussi peu de cas des énergies renouvelables, dont le développement est exponentiel ailleurs.

La loi d’accélération de la filière nucléaire – qui devrait trouver facilement une majorité avec les voix de la droite et des communistes – pourrait ainsi largement entacher le sérieux et la crédibilité d’une politique écologique française trop souvent réduite à la seule obsession de marteler que le nucléaire est une énergie qui n’émet pas de CO2.

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